SPELLBOUND (1945)
Alfred Hitchcock
Par Alexandre Fontaine Rousseau
«Quand nous sommes arrivés aux séquences de rêves,
j'ai voulu absolument rompre avec la tradition des rêves de cinéma
qui sont habituellement brumeux et confus.»
- Alfred Hitchcock
Dès Downhill, Alfred Hitchcock tente d'intégrer
le rêve de manière tangible à la réalité
de ses films. Il cherche même à rendre ses séquences
oniriques plus nettes et précises que ses segments réels.
Comme le souligne avec une certaine justesse François Truffaut
lors de ses légendaires entretiens avec le maître du suspense,
plusieurs de ses films de Notorious à Vertigo
entretiennent une impression de rêve éveillé et
confèrent au réel une qualité irréelle.
Qui plus est, les personnages névrosés et psychotiques
ainsi que les phobies de toutes sortes sont monnaie courante dans son
oeuvre. Le thème de la folie et les psychés troublées
sont deux constantes d'une filmographie portée au gré
d'un certain voyeurisme sur les anomalies et les déviances qu'elles
soient d'ordre psychologique ou sexuel. Tandis que Rope propose pour
l'une des premières fois au cinéma des personnages implicitement
homosexuels, le classique Vertigo est décrit par le
maître lui-même comme une expérience de pure nécrophilie
où un homme est hanté par le désir de coucher avec
une morte.
Spellbound est une tentative d'accoucher du premier film purement
psychanalytique. À sa sortie en 1944, André Breton a rédigé
un premier Manifeste du surréalisme depuis vingt ans déjà
et le père de la psychanalyse Sigmund Freud est mort il y a de
cela cinq ans. Cependant, leurs découvertes et leurs théories
ne font que commencer à envahir la conscience collective. Au
sein de cette vague de réflexions sur le sexe et les rêves,
les lubies d'Alfred Hitchcock deviennent plus pertinentes que jamais.
Ses ambitions se précisent pour Spellbound. Il désire
réaliser un suspense autour de son sujet de prédilection,
l'homme injustement accusé d'un crime qu'il n'a pas commis, se
déroulant dans une institution psychiatrique. Mais, surtout,
il veut l'aide de Salvador Dali pour concevoir des séquences
oniriques d'inspiration surréaliste d'un raffinement sans précédent.
Si ce fameux segment d'à peine quelques minutes est encore reconnu
de nos jours, le film dont il est tiré n'est pas le plus réputé
du canon hitchcockien pour de bonnes raisons. Désirant présenter
une oeuvre crédible et authentique basée sur certaines
percées scientifiques de son époque, Hitchcock étouffe
quelque peu son légendaire aboutissement technique au profit
d'innombrables dialogues didactiques et plaqués. Se faisant,
le réalisateur frôle par moment ce qu'il déteste
plus que tout au monde c'est-à-dire le cinéma en tant
que «photographie de gens qui parlent».
Tout cela ne signifie pas pour autant que Spellbound soit un
mauvais film, loin de là. En plus d'explorer de manière
plus appliquée qu'à l'habitude certaines des idées
fétiches d'Hitchcock, il annonce à certains niveaux plusieurs
oeuvres ultérieures et autrement supérieures à
celle-ci telles que Psycho et Vertigo. Néanmoins,
ce sont quelques trouvailles de réalisations ingénieuses
et le morceau de bravoure filmique que demeure à ce jour la séquence
élaborée par Salvador Dali qui permettent à Spellbound
de se distinguer. Il est fâcheux de penser que cette dernière
a été charcutée au montage bon nombre de fois.
Il faut dire qu'à l'époque Hitchcock est encore sous la
tutelle du super producteur hollywoodien David O. Selznick et que celui-ci
a l'intention de cartonner au box-office. Dès 1948, Hitchcock
remédiera à la situation en produisant lui-même
ses films.
Pour le moment, il doit encore satisfaire le puissant Selznick qui lui
impose quelques changements afin de répondre aux canons esthétiques
et aux formules en vigueur à l'époque. Ceci n'empêche
pas Hitchcock d'insérer un flash en couleur saisissant à
la fin d'un film en noir et blanc qu'il clôt sur le spectaculaire
plan subjectif d'un suicide, et de matérialiser avec une exactitude
hallucinante l'univers excentrique du peintre espagnol grâce à
quelques plans d'une beauté plastique remarquable. Encore une
fois, ces trouvailles stylistiques ne sont pas de vulgaires effets de
style et servent d'abord l'intrigue et l'atmosphère du film.
Somme toute, Spellbound a très bien vieilli malgré
les coupes et les réserves dont il fût victime à
l'époque. Lors de leur échange, Truffaut et Hitchcock
s'entendront pour dire qu'il s'agit d'un film mineur et n'y consacrent
que quelques minutes. Il est facile pour un tel géant d'écarter
un film de ce calibre, mais les cinéphiles seront récompensés
s'ils y consacrent un tant soit peu leur attention. Sans être
fignolé avec le même soin que les grands crus d'Hitchcock,
ce film policier sur fond de psychologie demeure marqué par le
sceau de qualité du maître.
Version française :
Spellbound
Scénario :
Ben Hecht, John Palmer & Hilary St. George
Sanders (roman)
Distribution :
Ingrid Bergman, Gregory Peck, Michael Chekhov,
Leo G. Carroll
Durée :
111 minutes
Origine :
États-Unis
Publiée le :
10 Mai 2006