SOYLENT GREEN (1973)
Richard Fleischer
Par Alexandre Fontaine Rousseau
Au-delà de quelques touches légèrement kitschs
dans la décoration et d'un chef de police tout droit sorti de
la distribution de Shaft, le Soylent Green de Richard
Fleischer se bonifie avec l'âge alors que son propos d'abord perçu
comme paranoïaque devient de plus en plus inquiétant et
même crédible avec le temps. À l'ère des
aliments mutants, de la surpopulation et du réchauffement climatique,
le portrait de cette humanité empilée dans des centres
urbains incapables de fournir à la demande, poussée par
la dégradation de l'environnement à s'auto-consommer afin
de pourvoir à ses propres besoins, a pris une connotation réellement
inquiétante en plus de gagner malgré sa fantaisie une
sombre crédibilité au fil des ans. Soylent Green
est un vrai classique de la science-fiction américaine des années
70, celle d'avant l'avènement de Star Wars, alors que
le concept prévalait sur le spectacle.
En l'an 2022, New York est une ville de quarante millions d'habitants
où la ségrégation sociale a atteint son paroxysme.
Le policier Thorn (Charlton Heston) gagne son pain synthétique
en enquêtant sur les meurtres commis dans la métropole
sale mal famée. Années 70 obligent, ses méthodes
sont peu orthodoxes et il ne suit pas les ordres de ses supérieurs.
Mais lorsqu'il doit enquêter sur la mort d'un des dirigeants du
producteur d'aliments artificiels Soylent, Thorn est embarqué
contre son gré dans une affaire qui dépasse en envergure
toutes celles auxquelles il a été confronté auparavant.
C'est une conclusion solide et tout de même très bien amenée
qui a fait la renommée du film de Fleischer. Mais cette suite
d'images narrant l'évolution des sociétés humaines,
servie en guise d'introduction à la diégèse presque
post-apocalyptique de Soylent Green, fonctionne elle aussi
à merveille. Et, bien que quelques éléments de
l'intrigue soient flous et superflus, le corps du film demeure un solide
drame policier futuriste dont les personnages aussi peu subtils soient-ils
sont campés avec une conviction contagieuse et efficace. C'est
en particulier la légende hollywoodienne Edward G. Robinson,
dans son cent-unième et dernier rôle au grand écran,
qui offre une performance touchante et franchement mémorable
en vieil homme devenu encyclopédie sur pattes et mémoire
vivante d'un monde meilleur. En ce sens, sa mort industrielle demeure
la plus belle scène du film de même que la plus touchante.
Car le monde que trace Soylent Green a rejeté l'humanité
de ses citoyens pour en faire un bétail statistique à
gérer de manière efficiente. L'extension logique de cette
abnégation de l'individu demeure cette femme-mobilier (Leigh
Taylor-Young) que l'on obtient en même temps qu'un appartement
ou ces gigantesques foules zombies qui sont ramassées à
la pelle mécanique lorsqu'elles s'insurgent contre une pénurie
du mystérieux aliment vert.
En fait, le secret de Soylent Green repose sur son équilibre
dosé entre un concept fort et une forme divertissante à
souhait. Heston trimbale son personnage de macho dur à cuir d'une
scène à l'autre avec assez d'aisance pour nous faire oublier
l'instant d'un film sa filiation à la NRA, et l'atmosphère
générale de l'ensemble est claustrophobe à l'image
de cet univers impitoyable dans lequel le film nous plonge. Soylent
Green est à classer dans la même vague que Silent
Running et Planet of the Apes, deux autres films de science-fiction
à forte tendance environnementaliste de la même période.
Dans chacun des cas, le message est clair: l'humanité fonce tout
droit vers sa perte si elle poursuit dans cette voie inconsciente et
autodestructrice sur laquelle elle s'est engagée.
Alternant agilement entre l'humour noir, l'anticipation cynique et des
scènes d'actions percutantes tout en se permettant quelques instants
de beauté pure, Soylent Green demeure un excellent film
de science-fiction caractéristique de l'époque. Exploitant
intelligemment des décors parfois fort dépouillés
et des lieux de tournage contemporains filmés avec une sensibilité
futuriste, ce divertissement bien mené parvient à servir
un message valide et à nous tenir en haleine par la même
occasion. Toujours d'actualité après plus de trente ans,
le film de Fleischer vaut encore le détour.
Version française :
Soleil vert
Scénario :
Stanley R. Greenberg, Harry Harrison (roman)
Distribution :
Charlton Heston, Leigh Taylor-Young, Chuck Connors,
Joseph Cotten
Durée :
97 minutes
Origine :
États-Unis
Publiée le :
1er Décembre 2005