SMASH CUT (2009)
Lee Demarbre
Par Mathieu Li-Goyette
La porno et le gore sont généralement considérés
comme des genres corporels. Définis à la même époque
(les années 60) et largement sous la tutelle du même individu
en Herschell Gordon Lewis, maître des corps souillés, le
parallèle entre ces deux supposés extrêmes du cinéma
contemporain dicte pourtant les directions de l'industrie depuis plus
d'un demi-siècle. Du couteau au sexe masculin, de la douche de
sang sur le visage à l'éjaculation, le spectateur des
films de Lewis s'attend à voir le corps d'autrui manipulé
puis ensuite profané par l'arme létale ou sexuelle d'un
autre personnage dominant en se confrontant alors aux attentes les plus
morbides. Le plaisir au prix de la mort ou la mort au prix du plaisir,
les deux genres évoluent en parallèles, basent leurs pivots
scénaristiques sur l'humiliation d'un autre, sur l'obscène
et les dessous d'un monde moderne décrié comme hypocrite,
tricheur et plongé dans l'infidélité de ses propres
préceptes (les adolescents dopés meurent les premiers
tandis que les femmes sont humiliées jusqu'à une dernière
survivante qui devra triompher du couteau-pénis, etc.).
Pour ainsi dire, la démarche du réalisateur de Jesus
Christ Vampire Hunter (2001), Lee Demarbre, est loin d'être
hérétique. C'est dans un hommage à cette même
légende Gordon Lewis (Blood Feast, Wizard of Gore...
en alternance avec ses films à tendance sexuelle assez élevée)
qu'il opposera le psychopathe par excellence des années 70 en
David Hess (The Last House on the Left de Wes Craven) ainsi
que la jeune star de l'industrie X Sasha Grey (éblouissante dans
le Girlfriend Experience de Soderbergh). Le meilleur du slasher
et le meilleur du porno pour refaire ce qui fut jadis le meilleur des
deux dans un film repliant sur lui-même la notion du cinéma
d’exploitation à petit budget. Hess en cinéaste
possédé, Grey en journaliste du dimanche convertie en
starlette de l’horreur, le réalisme bidon des films de
Lewis vient hanter ce qui reste de l’illusion cinématographique
d’aujourd’hui. Celle qui n’accepte que le laissez-regarder
sadique du cinéma gore devenu la méthode par
excellence de l’horreur moderne. L’alter-ego de Lewis avec
ses tour de passe-passe bricolés et ses mannequins découpés
est porté à utiliser de vrais cadavres (et donc de s’en
procurer) pour rivaliser avec les nouveaux standards.
Smash Cut, sous ses apparences, est un film néanmoins
assez simplet qui présente des personnages à concepts
grossièrement placardés sur des motifs de l’industrie
du cinéma. Un scénariste à binocles, un producteur
névrosé, une critique de cinéma hargneuse, les
stéréotypes s’accumulent dans le making-of de la
production d’un «vrai» film gore. Si Demarbre
réussit à merveille à reconstituer les moyens techniques
de l’époque et la finition esthétique bien propre
à Lewis, la relecture du cinéma gore manque bien
de substance, si ce n’est que cette trame du cinéma à
l’intérieur du cinéma. « Le cinéma
est une entreprise sanglante » proclame Lewis lui-même avant
le film et c’est en fournissant ces armes de meurtres volées
au panthéon du genre que les actants de l’industrie se
voient extrapoler leurs passions et leur rogne contre leurs sous-traitants
et patrons. La problématique de Smash Cut est de poser
au cinéma le pouvoir du meurtre et de croire aveuglément
au créateur fou que nous aimerions retrouver dans les annales
du cinéma. Ces grands hommes que nous admirons d’anecdotes
en anecdotes et de folies en folies (à la Herzog, Coppola, Welles,
pour nommer les plus adulés) qui, pour l’horreur, s’y
jetteraient jusqu’à la démence.
Et c’est une bien belle aspiration que d’immortaliser le
créateur d’une si grande entreprise qu’un long-métrage
par une douche de sang et de pellicule. Ceci dit, Demarbre prouve avec
les minimes moyens qui lui ont été accordés qu’il
est lui-même un réalisateur hors-pair lorsqu’il en
vient aux scènes de fortes tensions qui caractérisent
les premières déroutes d’Able Whitman le cinéaste
fou. Ces scènes sanglantes à souhait, si elles sont en
partie neutralisées par les pacotilles du jeu des reporters (Jesse
Buck et Sasha Grey), forment au moins l’intérêt principal
d’un film inégal qui marquera assurément plus par
ses bêtises que pas ses élans de génie. Alors que
seul Hess semble sauver la mise, Grey plonge dans un rôle pathétique
(tourné cependant avant son travail avec Soderbergh qui, on l’aura
dit, était bien mieux) qui rajoute à l’aspect grossier
d’une distribution faible qui nage dans une ironie lancée
à tout vent. Les plateaux du cinéma se transforment en
coulisses de la scène de théâtre où les maquillages
portés naïvement font de l’hommage une mascarade sans
intérêt autre que la redite de l’oeuvre du créateur
des manies cinématographiques mises en cause. Dommage, car ce
qui aurait pu être la consécration de cette filmographie
perpétuellement fouillée par les pèlerins du cinéma
d’exploitation se retrouvera à se noyer dans la crasse
du cinéma « facile » contre qui elle s’érigeait
autrefois.
Version française : -
Scénario :
Ian Driscoll
Distribution :
David Hess, Sasha Grey, Jesse Buck, Michael Berryman
Durée :
85 minutes
Origine :
Canada
Publiée le :
3 Août 2009