SLEEPER (1973)
Woody Allen
Par Alexandre Fontaine Rousseau
Sommet de la première partie de la carrière de Woody Allen,
celle des fameux «early funny ones» dont il rirait
sept ans plus tard dans Stardust Memories, Sleeper
demeure l'une des comédies les plus drôles de son oeuvre,
à défaut d'être la plus raffinée. Plus près
de Bananas que d'Annie Hall, Sleeper n'en
demeure pas moins un point tournant dans l'évolution d'Allen
en tant que réalisateur. C'est en effet avec ce film que commence
à vraiment se développer sa compréhension du langage
cinématographique ainsi que le sens du rythme qui lui manquait
encore lors de la création de son amusante mais imparfaite comédie
à saveur révolutionnaire de 1971. Avec Sleeper,
Woody Allen devient plus qu'un simple stand-up comic transféré
au grand écran. Comédie visuelle efficace dont la mécanique
fonctionne au quart de tour, Sleeper transpire plus que tout
autre élément de la filmographie d'Allen un fort parfum
de Chaplin. Plusieurs des scènes du film fonctionneraient en
fait à merveille même si elles étaient muettes.
Cela dit, Sleeper ne serait pas le même film sans ce
swing irrésistible qui insuffle la trame sonore jazz enjouée
que composa Allen pour l'occasion. C'est en partie grâce à
cet indice flagrant de l'affection que porte le New-yorkais pour le
jazz de la Nouvelle-Orléans que Sleeper arrive à
garder le cap du début à la fin. Car, malgré plusieurs
moments de brios comiques exceptionnels, le film souffre de quelques
pertes de rythme que le tempo endiablé de la musique arrive heureusement
à combler étonnamment bien. Effusion à peine contrôlée
de gags visuels hilarants et de réparties savoureuses, Sleeper
raconte l'histoire d'un homme congelé au vingtième siècle,
Marvin Monroe, que l'on réveille 200 ans plus tard au beau milieu
d'un régime totalitaire qui emprunte tant au Fahrenheit 451
de Bradbury qu'au 1984 d'Orwell. Son statut d'homme du passé
en fait un élément subversif recherché par les
autorités. C'est pour les éviter qu'il se déguisera
de façon fort peu convaincante en robot domestique et qu'il s'introduira
chez Luna (Diane Keaton), modèle d'endoctrinement et poétesse
de pacotille à ses heures.
Bien entendu, les habitudes primitives et le charme bestial d'Allen
ramèneront Luna dans le droit chemin et ils se joindront à
une cellule révolutionnaire qui tente de faire tomber le gouvernement.
Avant d'en arriver là, Marvin devra toutefois voler des OGM démesurés,
combattre un pudding géant, découvrir la puissance de
l'orgasmotron et gagner le concours Miss America au cour d'une séance
de lavage de cerveau peu orthodoxe. Cultivant un humour farfelu et exubérant,
Sleeper est loin d'être le film le plus sérieux
de Woody Allen et se prête plutôt mal au jeu de l'analyse
profonde. Par ailleurs, si c'est une comédie légère
que l'on espère, le film comble toutes nos attentes. Pétillant
et joyeusement divertissant, Sleeper atteint l'équilibre
parfait entre la débilité et l'intelligence, arrivant
à faire vibrer la panse en de puissants séismes sans oublier
de lancer ici et là quelques gags plus fouillés qui gardent
les méninges actives. Certes, on est loin de la subtilité
des meilleurs films d'Allen qui demeuraient à venir. C'est cependant
avec Sleeper que l'humoriste remplira le mieux son rôle
de bouffon et exploitera son jeu physique avec le plus de vigueur.
Ainsi, cette aventure futuriste du névrosé préféré
de tous demeure encore aujourd'hui l'une de ses plus accessibles. Comédie
populaire sans prétention, Sleeper est la meilleure
que pondra Allen avant de se lancer dans une exploration plus posée
de l'univers trouble des rapports amoureux et de développer plus
ouvertement sa sensibilité artistique. Petit bijou comique ayant
remarquablement passé l'épreuve du temps, Sleeper
témoigne d'une toute autre période de la carrière
de monsieur Allen Stewart Konisberg, une époque où faire
rire était son seul et unique objectif. Il aura frappé
en plein dans le mille avec ce film particulièrement drôle.
Version française :
Sleeper
Scénario :
Woody Allen, Marshall Brickman
Distribution :
Woody Allen, Diane Keaton, John Beck, Mary Gregory
Durée :
89 minutes
Origine :
États-Unis
Publiée le :
20 Novembre 2004