SISTERS (2006)
Douglas Buck
Par Alexandre Fontaine Rousseau
Pratiquant le cannibalisme comme ses pires monstres le font, le cinéma
d'horreur s'est lancé au cours des dernières années
dans une entreprise d'autodigestion de son propre héritage. Au-delà
de cette manie d'offrir au grand public des calques peu imaginatifs
de productions asiatiques, l'Amérique préconise aujourd'hui
la relecture de ses propres mythes de l'horreur: l'invasion de nos écrans
par ces versions à peine revues et corrigées de «
classiques » parfois discutables tels que The Texas Chainsaw
Massacre, The Omen et The Amityville Horror est
symptomatique du marasme créatif d'un genre qui a toutes les
peines du monde à se renouveler. Bien qu'il ne s'agisse pas à
proprement parler d'un film d'horreur, le Sisters de Brian
De Palma partage avec le genre en question bon nombre de ses sensibilités
insolites et troublées. Mais entre les mains du jeune réalisateur
américain Douglas Buck, l'ingénieux hommage à Hitchcock
de De Palma est transformé en simple suspense mécanique
à saveur d'horreur psychologique.
Sans être déplaisant, ce Sisters version 2006
n'ajoute rien à ce que proposait l'original en 1973 et délaisse
de surcroît plusieurs de ses excentricités techniques les
plus inspirées au profit d'une facture visuelle plutôt
convenue. En fait, il s'avère plutôt difficile de saisir
ce qui explique l'existence de ce remake: Buck semble vénérer
le scénario original et n'y apporte que quelques modifications
plutôt subtiles, délaissant quelques éléments
de l'intrigue policière originale pour se consacrer sur les ingrédients
plus fantastiques de sa prémisse. Le personnage de Danielle /
Dominique, ici rebaptisé Angélique / Annabelle, est ainsi
positionné au coeur du récit; le suspense en souffre sans
pour autant que nous ne soyons témoin d'un quelconque approfondissement
de son personnage.
Assez classique dans la forme, ce nouveau Sisters abandonne
donc les ficelles qui alimentaient les tensions formidables du film
original pour leur préférer une narration homogène
et prévisible, propre au film d'horreur américain actuel.
Les artifices du suspense que manipulait De Palma avec une malveillante
ingéniosité sont ici réduits à l'état
de simples clins d'oeil: le fameux gâteau de fête, par exemple,
n'est plus qu'un détail morbide apte à provoquer chez
le spectateur quelques rires faciles. L'efficacité rationnelle
de la version de 73 a été remplacée par une recherche
esthétique uniforme digne de la publicité. Nous n'avons
plus affaire ici à une réalisation en tant que telle,
mais plutôt à une suite d'effets de style banalement techniques.
Le problème est symptomatique d'un certain cinéma d'horreur
contemporain qui a abandonné l'exploration des peurs viscérales
pour privilégier un travail de la forme approchant dangereusement
le territoire tape-à-l'oeil du vidéoclip.
D'ailleurs, la relecture de Douglas Buck a pour principales qualités
une trame sonore convenue mais évocatrice, en partie signée
par le Montréalais David Kristian, ainsi que quelques trouvailles
visuelles élaborées venant pimenter les séquences
cauchemardesques qui ponctuent la seconde moitié du film. La
distribution n'est pas mauvaise: Chloë Sevigny et Lou Doillon se
tirent bien d'affaire dans leurs rôles respectifs, Stephen Rea
habite du mieux qu'il le peut un personnage mal développé
et William B. Davis - l'homme à la cigarette de The X-Files
- impose une atmosphère à l'ensemble par sa simple présence.
Malheureusement, ce n'est pas assez pour justifier l'existence de ce
film qui n'a ni l'élégante retenue d'un Lucky McKee -
réalisateur auquel Buck s'apparente dans ses instants les plus
inspirés - ni la diabolique efficacité de l'original de
De Palma.
Par conséquent, l'écoute de cette nouvelle version est
à réserver aux mordus de l'ancienne ainsi qu'à
quelques amateurs d'horreur relativement peu exigeants qui prendront
sans doute un certain plaisir à se farcir cette petite production
sans faille majeure par ailleurs dépourvue de toute pertinence
réelle. Certes, il se fait bien pire en ce bas-monde. Mais ceux
que l'insignifiance irrite sont priés de chercher ailleurs car,
une fois de plus, l'originalité semble être la moindre
des préoccupations d'un film de genre. On pourrait parler dans
le cas présent d'une déception, mais pouvait-on vraiment
s'attendre à ce qu'un réalisateur sans expérience
batte le maître De Palma à son propre jeu?
Version française : -
Scénario :
Douglas Buck, John Freitas
Distribution :
Lou Doillon, Stephen Rea, Chloë Sevigny, William
B. Davis
Durée :
90 minutes
Origine :
États-Unis
Publiée le :
30 Octobre 2006