SIN CITY (2005)
Frank Miller
Robert Rodriguez
Par Frédéric Rochefort-Allie
Si vous ne connaissez pas Sin City, c'est soit que vous n'êtes
pas un grand amateur de bande dessinée pour adulte, soit que
vous ne trainez pas beaucoup sur internet. D'une façon ou d'une
autre, cette bande dessinée compte de plus en plus de fans à
chaque jour et s'est rapidement hissée parmi les grandes oeuvres
cultes des dix dernières années. Son créateur,
Frank Miller, était catégorique au sujet du grand saut
de la case de BD au grand écran, cela ne se ferait jamais. Mais
il fut séduit par l'habille démonstration de Robert Rodriguez,
vidéo que les fidèles panoramiens ont eu la chance de
visionner. N'oublions pas que très peu d'adaptations cinématographiques
tirées de bandes dessinées sont réussies et trop
peu sont mémorables ou même artistiques. C'est là
d'ailleurs un des principaux problèmes du cinéma américain
en notre époque. Non pas qu'il ne soit pas efficace ou attirant,
mais l'authenticité n'y est souvent pas.
Sin City, n'étant pas conforme aux règles, est
composé de trois principales histoires: Sin City, The
Yellow Bastard et The Big Fat Kill. Le chapitre éponyme
porte sur une brute, Marv (Mickey Rourke) qui tente de venger un amour
perdu et ce, peu importe les conséquences. The Yellow Bastard
raconte l'histoire d'un détective (Bruce Willis) qui protège
une jeune fillette du viol, assumant sur lui le poids de la corruption
qui reigne en cette ville. Puis, The Big Fat Kill porte sur
la guerre qui aura lieu à Sin City, guerre impliquant les prostituées
pour leur propre survie.
À plusieurs niveaux, Sin City donne l'impression de
revenir dans les années 90, lors de la sortie du film Dick
Tracy. À l'époque, Warren Betty avait l'intention
de réaliser un film qui reprendrait les mêmes couleurs
très exactement que la BD originale pour en faire sortir la même
ambiance. Son casting même était d'une solidité
redoutable. Un peu comme Sky Captain pour Rocketeer,
Sin City vient jouer dans les platebandes de Warren Betty tout
en étant fondamentalement différent. Car Sin City,
tel que le titre l'indique, est une cité du vice, avec du sang,
des meurtres et du sexe à profusion. Ici, rien ne fait face à
un filtre (ou presque), tout est viscéral et brutal et c'est
justement ce qui rend cette oeuvre si attirante à la base, c'est
qu'elle n'hésite pas à prendre les chemins les plus crus
si cela s'avère nécessaire et qu'elle glorifie en quelque
sorte tout ce qui a toujours été marginalisé dans
notre société. Chaque personnage est humain, visant une
noble cause ou non, et leurs traits de caractères sont tous puisés
directement du film noir. La grande différence qui sépare
l'univers du comic strip de Dick Tracy aux albums de Frank
Miller, c'est l'hémoglobine.
Il est d'une évidence qu'un film se basant texto des cases ancrées
par un maitre de la bande dessinée ne peut pas vraiment faillir,
sinon que par son traitement. Dans un souci d'authenticité incroyable,
Robert Rodriguez n'a utilisé aucun scénario, aucune adaptation
réelle, sinon que les livres même sur le plateau. Bref,
le récit en tant que tel n'aurait subi aucune véritable
transformation sinon que quelques scènes et pour plaire un peu
à la Motion Picture Association of America. La seule véritable
modification, et probablement le seul reproche qu'on puisse véritablement
adresser à cette oeuvre au niveau scénaristique, c'est
d'avoir tenté d'imbriquer trois volumes qui racontent chacun
une histoire différente. Le résultat donne l'impression
d'une intrigue qu'on aurait malheureusement éparpillée.
Si les fans de la BD s'en donnent à coeur joie pour nommer ce
film le Pulp Fiction des années 2000, détournons-nous
de la cadence le temps d'une brève comparaison au niveau de la
structure. Pulp Fiction est un film qui se composait de différentes
«histoires» avec une ligne de temps décousue qui
n'étaient d'autre que différents points de vue d'une seule
et même histoire. Dans Sin City, le seul lien qu'on puisse
trouver entre les différentes histoires, c'est qu'elles partagent
un seul et même univers, Basin «Sin» City. Autrement,
on y trouve aucune ligne directrice en commun. Pourtant, cela n'a pas
empêché Rodriguez de tenter de créer une forme de
continuité entre les épisodes en les mélangeant
à sa guise. Le résultat donne un film disparate, qui sans
échouer une partie de son objectif principal, dissipe l'effet
et la puissance de quelques scènes en les séparant par
d'autres épisodes. Sin City est peut-être réussit,
mais il aurait pu atteindre des sommets encore plus haut en respectant
la différence de chaque tome, car ils se différencient
par l'intrigue, par le ton et surtout par le rythme. Étant une
reproduction assez fidèle des planches de bande dessiné,
le film n'échappe pas aussi aux inégalités de la
présence de la narration qui se fait à la fois omniprésente
ou tout à fait absente. En ce sens, Sin City échoue
car il est composé de trois entités différentes
bien que semblables par le fond. La bonne nouvelle dans tout cela c'est
que vos lecteurs dvds vous permettront de recomposer les histoires et
de savourer le génie narratif de Frank Miller.
Visuellement, Sin City s'inscrit en plein dans la révolution
cinématographique débutée par George Lucas et dont
Sky Captain et Immortel: Ad Vitam s'étaient
chargés de faire avancer à pas de géants. Le cinéma
permet maintenant de faire n'importe quoi, d'être manipulé
à la guise du créateur. En ce sens, Rodriguez est tout
comme Kerry Conran, l'incarnation du Magicien d'Oz, créant
de toute pièce une illusion. Par une grande preuve de modestie,
Robert Rodriguez se range comme co-réalisateur, le technicien
qui concrétise la vision artistique du créateur qu'il
admire. Nous pourrions donc dire que le véritable réalisateur
serait plutôt celui qu'on a plutôt tendance à tasser
dans l'ombre, Frank Miller et son génie dans la maitrise de l'ambiance
par les images fortement contrastées et dans la composition de
l'image. Le résultat est saisissant et rappelle vaguement les
vieux films noirs des années 30 et le cinéma expressionniste.
Sauf qu'à la différence de la version papier, Rodriguez
préfère souvent des angles un peu moins extrêmes.
Bien que le cadrage soit souvent quasi-identique à l'oeuvre de
Miller, le rapport avec l'espace n'est pas le même et donc l'ambiance
qui se dégage d'une scène diffère un peu, parfois
pour le mieux et parfois non. Robert Rodriguez et Quentin Tarantino
trouvent tout de même parfois des idées ingénieuses
qui améliorent certains passages.
Avis aux âmes sensibles, bien que Sin City appartienne
à l'empire de Walt Disney, le film de Frank Miller est un tantinet
plus violent que la norme pour le royaume de Mickey Mouse. Le sang,
le démembrement et les criblements de balles sont choses fréquentes
dans cet univers sombre bédéesque et le film
donne une bonne claque au visage à tout ceux qui prônent
le politically correct. Mais bien que sanguinolent, la violence
chez Sin City est beaucoup plus froide que dans les BDs et
la souffrance est beaucoup moins tangible que chez son cousin Kill
Bill, qui présentait littéralement des êtres
en train de souffrir dans leur bain de sang. Quand un homme se fait
détruire les parties génitales et qu'il ne crie à
peine qu'une seconde, bande dessinée ou non, l'effet ne passe
pas. Sans être aussi machinale que les Rambos, la violence
devient donc un spectacle devant lequel le spectateur peut demeurer
béat devant son exécution remarquable, mais qui ne porte
pas le poids de ses gestes, ce que la BD réussit par contre.
Mis à part ces quelques problèmes qui minent quelque peu
l'ensemble du film, Sin City est un divertissement hors pair
qui accorde autant d'importance au contenu qu'au contenant, le tout
dans le plus grand respect du travail de Frank Miller.
Par sa distribution, le film est physiquement parfait. Du trait de crayon
aux acteurs en chair et en os, la différence est si minime que
c'en est presque terrifiant. Robert Rodriguez a réussi un tour
de force incroyable en réunissant une brochette d'acteurs des
plus impressionnantes. Les seules déceptions sont peut-être
simplement au niveau féminin, où Jessica Alba arrive peut-être
bien à danser dans un bar miteux, mais quand il s'agit de jouer,
l'actrice n'est pas au sommet de son art. Notons aussi un caméo
d'une atrocité notable de la jeune Mackenzie Vega dans le même
personnage. Sinon, Sin City offre des performances magistrales
de Mickey Rourke, qui n'a jamais été aussi bon, et de
Benicio Del Toro, toujours égal à lui-même. Même
maquillé, Rourke n'est jamais caricatural et projette une énergie
brute comme seul Marv le dégage dans l'oeuvre de Miller. C'est
probablement la plus agréable surprise de tout l'ensemble du
film avec aussi un Bruce Willis qui ressort des ténèbres
(The Whole Ten Yards) et un Clive Owen qui continue de prendre
du galon. L'ensemble du casting est si impeccable qu'on ne saurait qui
trop glorifier ou qui pointer du doigt car l'essentiel est que le récit
fonctionne.
Finalement, la collaboration entre le talent technique de Robert Rodriguez
et le génie visuel de Frank Miller aura donné un film
authentique à la vision de son créateur, ce que peu d'adaptations
réussissent et en ce point, Sin City mérite une
grande part de l'admiration qu'il reçoit des fans. Cependant,
le film n'est pas parfait et aurait pu chercher à concentrer
ses histoires ou se trouver une ligne directrice plus définie.
Mais au bout du compte, ce qui compte est que Sin City est
un grand divertissement avec des interprétations et une réalisation
de première classe. Gageons que d'ici deux ans, les écrans
seront inondés de films en noir et blanc (avec certaines parties
en couleur) de cinéastes qui suivront la vague. Si cela peut
faire renaitre le film noir qui est depuis trop longtemps oublié,
tant mieux, à défaut d'avoir donné lieu à
peut-être plusieurs films insipides. Si cela peut provoquer aussi
un peu le cinéma comme l'a fait Kill Bill, une partie
de la mission du film serra accomplie. Seul le temps nous dira si cette
oeuvre marquera le cinéma américain. Chose certaine, c'est
Warren Betty qui aurait été content de profiter de cette
même révolution!
Version française :
Une Histoire de Sin City
Scénario :
Frank Miller, Robert Rodriguez
Distribution :
Bruce Willis, Mickey Rourke, Jessica Alba, Clive
Owen
Durée :
126 minutes
Origine :
États-Unis
Publiée le :
4 Avril 2005