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SILK (2007)
François Girard

Par Nicolas Krief

Rares sont les grandes adaptations, car elles symbolisent souvent le meurtre d’une œuvre littéraire. Clarifions tout de suite quelque chose: quand je dis adaptation, je parle d’un film adapté d’un roman, d’une nouvelle, d’un bottin, etc. Quand je parle d’interprétation, je parle de la vision du réalisateur de l’adaptation. Par exemple, The Shining est l’adaptation d’un roman de Stephen King, mais c’est aussi l’interprétation proposée par Stanley Kubrick de la dite oeuvre de l’auteur de romans à succès. Bon, c’est réglé; venons-en maintenant au sujet qui nous intéresse, soit celui du dernier François Girard. Difficile de dire si Soie est une transposition du livre d’Alessandro Baricco à l’écran ne présentant aucune modification notable, ou s'il s'agit plutôt de sa vision du roman que nous propose le cinéaste. Je n’ai pas lu le dit livre. Les termes «fidélité» et « respect de l’auteur » seront donc absents de ce texte.

Hervé Joncour, un jeune militaire français, est engagé par un fabricant de soie pour ramener des œufs de vers à soie sains du Japon. Il laisse donc sa femme Hélène dans son petit village et part à l’aventure. Durant sa quête d’or en coquille, Hervé tombe sous le charme d’une japonaise aguichante, et en vient finalement à tromper Hélène. Il n’aura jamais le courage de le lui avouer. Girard se base sur cette histoire plutôt simple pour monter un récit très austère, d’une grande beauté visuelle.

Après seulement trois longs-métrages dont la production s'étale sur une période de quatorze ans, François Girard réussit à nous faire croire qu’il a l’expérience d’un maître qui aurait une trentaine de films à son actif. Il réalise et scénarise tel un Terrence Malick, utilisant un rythme lent et des plans magnifiques pour raconter cette histoire. Le ton que Girard donne à son film est froid, presque distant face à des émotions et des sentiments qui feraient fondre en larme le plus insensible des grille-pain. Il évite le mélodrame facile, offrant une mise en scène rigoureuse, presque parfaite.

Plusieurs ont accusé Michael Pitt de ne pas faire passer l’émotion nécessaire à l’histoire. Je leur dis : vous avez tort! Michael Pitt ne livre pas une foule d’émotions à la caméra, son jeu est même particulièrement sobre. Pourquoi? Parce que nous ne sommes pas dans un mélodrame à la Notebook! Le personnage d’Hervé Joncour est timide, intraverti; le film le définit ainsi fort rapidement. Cela justifie amplement que Pitt demeure plutôt froid face aux situations auxquelles fait face son personnage. Mais cela n’excuse en rien son manque de crédibilité lorsqu’il se met à pleurer. En ce sens, le rôle aurait probablement gagné à être confié à un autre que lui, à un acteur qui serait un tout petit peu plus près de ses sentiments par exemple. Mais qui sommes-nous pour juger de cela? En revanche, le reste de la distribution se débrouille fort bien; Keira Knightley, fidèle à elle-même, joue le rôle d’une femme… et il m’est impossible de reprocher quoi que ce soit à Alfred Molina.

Le principal problème du film, c’est tout simplement le récit. C’est une histoire d’amour qui peut sembler fort banale à l’écran, alors qu'elle peut prendre tout son sens dans les pages d’un bouquin. Un romancier de talent pourrait rendre la tourmente du personnage principal intense et fort captivante avec les tournures de phrases appropriées. Un cinéaste, peu importe son calibre, peut difficilement faire passer des émotions aussi profondément ancrées dans l’esprit d’un homme aussi impassible. On ne peut donc pas réellement blâmer François Girard pour la profonde platitude de Soie, ni Michael Pitt, ni Alessandro Baricco. La direction photo d’Alain Dostie est somptueuse et la musique de Ryuichi Sakamoto est formidable, mais l’histoire est quant à elle d’un ennui mortel. Pensez-y: lorsque le cinéma est apparu, la littérature a reçu tout un «uppercut», car le sentiment d’évasion qu’elle procurait aux lecteurs pouvait facilement se retrouver sur le grand écran. Les auteurs ont eu à adapter leur plume afin de créer des œuvres littéraires fascinantes, dont on ne pouvait pas dire qu'elles feraient de très bon films. Des livres provoquant chez le spectateur des émotions auxquelles seule la lecture semble en mesure de rendre justice, ce qui est en soi tout un défi. Soie en est probablement un fort bel exemple; car à l’écran, les émotions, aussi puissantes soient-elles, ne passent pas du tout.

Un film lent ne veut pas nécessairement dire un film plate, qu’on se le dise. Soie est une histoire où l’intensité des émotions, qui sont tout de même assez subtiles, doit être totalement ressentie; et, au cinéma, on imagine difficilement un réalisateur accomplissant un tel exploit. J’irais même jusqu’à dire que, malgré toutes ses qualités visuelles et sonores, Soie n’aurait jamais dû voir le jour. Car nous sommes en droit de nous attendre à beaucoup plus intéressant de la part de François Girard. Espérons donc qu’il travaille déjà sur un nouveau projet, de son cru cette fois...




Version française : Soie
Scénario : François girard, Michael Golding, Alessandro Baricco (roman)
Distribution : Michael Pitt, Alfred Molina, Keira Knightley, Koji Yakusho
Durée : 112 minutes
Origine : Canada, France, Italie, Angleterre, Japon

Publiée le : 12 Novembre 2007