SILENT HILL (2006)
Christophe Gans
Par Jean-François Vandeuren
Le problème récurrent des adaptations cinématographiques
de jeux vidéos est que, jusqu’à maintenant, aucun
cinéaste ne tenta d’aller au-delà du nom d’une
franchise pour réellement rendre justice à l’œuvre
adaptée. Il faut dire que la plupart de ces adaptations, dont
les possibilités étaient souvent déjà limitées
à la base, furent rarement prises au sérieux par leurs
instigateurs. D’emblée, Silent Hill s’annonçait
comme l’effort qui allait remettre les pendules à l’heure
et enfin nous faire grâce d’une rencontre fructueuse entre
deux médiums ordinairement incompatibles. La géniale série
de Konami se démarquait déjà au départ de
par ses nombreuses références parfaitement assimilées
au cinéma de David Lynch et David Cronenberg, ainsi qu’au
Jacob’s Ladder d’Adrian Lyne. Bagage substantiel
déjà fort complexe en soi, son passage au grand écran
ne se fit pas sans quelques accrochages. Deux visions de l’œuvre
d’Akira Yamaoka essaient donc de se compléter : celle du
réalisateur Christophe Gans, et celle du scénariste Roger
Avary. Et comme pour certaines adaptations de roman, il peut être
fort utile ici d’avoir jouer aux jeux afin de saisir complètement
l’essence du film.
La progression du jeu étant basée sur la résolution
d’énigmes et l’errance, il n’est pas étonnant
de voir ces éléments occuper une place prédominante
au coeur du scénario d’Avary. Nous accompagnons ainsi Rose
à l’intérieur de ces lieux peu cléments alors
qu’elle tente de retrouver sa fille adoptive, Sharon, nous donnant
l’impression de suivre Alice dans un pays des merveilles peuplé
de créatures et de personnages tous plus morbides les uns que
les autres. Si le film trimbale son personnage principal de gauche à
droite en le faisant souvent revenir sur ses pas, la mise en scène
de Christophe Gans parvient progressivement à évacuer
toute forme de redondance en conférant certaines connotations
labyrinthiques au parcours de Rose. La mécanique du film se rapproche
également de celle d’un jeu vidéo dans ses mouvements
de caméra et dans le cheminement de certaines séquences,
en particulier l’introduction d’un immense flash-back en
fin de parcours prenant la forme d’une cinématique qui
récompenserait d’ordinaire un obstacle franchi avec succès
dans un jeu. Autrement, Gans ne se préoccupe aucunement de l’efficacité
dramatique de son effort. La mise en scène prime sur les enjeux
dramatiques et les personnages. Le cinéaste préfère
visiblement s'attarder à la structure volatile du cauchemar dans
lequel il désire nous plonger plutôt que celle d’un
film en soi.
Comme le jeu de Konami, le film de Christophe Gans est basé en
grande partie sur la création d’atmosphères. Là
où bien des films d’horreur tombèrent drastiquement
à plat ces dernières années, Gans réussit
à recréer avec un doigté phénoménal
l’état de stress et d’inconfort auquel la série
nous exposait par le biais d’un spectacle visuel et sonore de
haut calibre. L’effort réemploie d’ailleurs quelques
uns des sublimes élans minimalistes des trames sonores originales
pour apporter une dimension un peu plus spectrale au récit. Le
cinéaste français ne répète pas non plus
les mêmes erreurs que ses confrères et approche la dimension
horreur de son effort sans devenir hyperactif, dosant parfaitement autant
ses éléments graphiques que ses effets de style. Un contrôle
tout de même étonnant de la part du réalisateur
qui nous avait offert précédemment l’un peu trop
stylisé Pacte des loups. Le temps venu, Gans se concentre
aussi beaucoup plus sur les mouvements à l’intérieur
de ses plans que ceux de la caméra. Un détail qui, dans
ce cas-ci, fait souvent toute la différence, en particulier dans
la présentation des diverses créatures se manifestant
une fois la noirceur tombée. Malheureusement, toutes ces prouesses
sont gâchées à quelques reprises par des dialogues
d’un ridicule consommé, faisant reculer d’un pas
notre adhérence à certaines séquences.
À l’origine, Silent Hill formait un amalgame fort
consistant d’influences purement cinématographiques. Il
est donc normal que l’effort de Christophe Gans donne lieu à
quelques clichés d’usage étant donné qu’il
ramène le chef d’œuvre d’Akira Yamaoka à
sa source d’inspiration. D'une part, le film rend hommage au cinéma
de David Lynch de par le regard qu’il porte sur l’Amérique,
dont le symbolisme et le fanatisme religieux exubérants nous
ramène dans le cas présent à certaines problématiques
socio-politiques on ne peut plus actuelles, et sur l’importance
des émotions au cœur même de l’intrigue et de
sa résolution. Gans et Avary tentent à bien des égards
de recréer le même type de casse-tête cinématographique,
mais à l’intérieur d’un monde nous ramenant
de plein front à la viscéralité de l’univers
de David Cronenberg. Les décors aussi grotesques que spectaculaires
de Silent Hill sont d’ailleurs le fruit du travail de
Carol Spier, qui signa par le passé ceux d'eXistenZ,
Naked Lunch et Videodrome pour ne nommer que ceux-ci.
Christophe Gans nous livre ainsi une incursion réussie à
l’intérieur de l’univers d’un jeu vidéo
qui, à lui seul, mériterait de figurer parmi les meilleurs
films d’horreur produits ces dernières années. Les
sources d’inspiration aussi diversifiées qu’implacables
du cinéaste français, allant du manga japonais aux vieux
films de Roman Polanski, lui permirent d'élever le genre à
un niveau que l’on n’avait pas vu depuis longtemps. Les
citations sont nombreuses, certes, mais Silent Hill apparaît
malgré tout comme une entité complètement à
part des autres. Gans nous ramène finalement à un cinéma
réellement d’horreur et non simplement de terreur. Évidemment,
Silent Hill est loin d’être un film parfait. Si
Gans et son équipe technique s’en sortent indemnes grâce
à une facture visuelle impeccable en tous points, celle-ci ne
rattrape pas toujours les fautes du scénario d’un Roger
Avary visiblement perdu entre les deux médiums qu’il tente
de croiser. Du coup, l’adhésion au résultat final
ne se fait pas sans certaines concessions, en particulier face à
la structure d'un récit qui en déstabilisera plus d'un.
Version française : Silent Hill
Scénario : Roger Avary
Distribution : Radha Mitchell, Sean Bean, Laurie Holden, Jodelle
Ferland
Durée : 127 minutes
Origine : États-Unis, France, Japon
Publiée le : 28 Avril 2006
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