SIDEWAYS (2004)
Alexander Payne
Par Vincent Bergeron
Il y a de ces petits films, trop simples et légers pour vous
impressionner tout de suite, mais qui s'installent en vous plus longtemps
que prévu. Un deuxième visionnement 6 mois plus tard vous
prouve que plus d'un détail demeure frais à votre mémoire.
Après deux comédies noires où les défauts
des personnages principaux faisaient tout leur charme, Alexander Payne
revient avec... une autre comédie noire du même genre.
Mais, attention, ce pourrait bien être son meilleur film.
Si c'est le cas, le célébré About Schmidt
avec son récent retraité à la fois dépourvu
et super protecteur (Warren Schmidt interprété par Jack
Nicholson), termine proche deuxième. Pour sa part, le superficiel
en apparence Election, mérite une mention honorable
pour récupérer habilement plusieurs clichés des
films pour adolescents et les utiliser dans un contexte exposant le
côté sombre du psyché humain. Encore une fois, l'ensemble
est familier, comme dans tous les films de Payne, mais notre mémoire
aime davantage ses films que l'on ne le pense.
En réalité, pour des raisons de rentabilité entre
autres, peu de films existent où les spectateurs accompagnent
autant les personnages que le malaise que ces derniers portent en eux.
Un peu comme Larry David le fait moins sérieusement dans ses
séries télévisées (Seinfeld, Curb
Your Enthusiasm), Payne démontre constamment qu'il est passé
maître dans l'art de rendre drôle ce qui ne l'est, en fait,
pas du tout. Lors de leurs petites mésaventures souvent peu spectaculaires,
ses personnages - cette fois-ci adaptés d'un roman du même
nom écrit par Rex Pickett – ne rencontrent souvent rien
d'autre que leur propre angoisse et leurs petites névroses personnelles.
N'est-ce pas que la vie est souvent comme cela?
Cette fois-ci, il s'agit du voyage à travers la route des vins
de Miles Raymond (Paul Giamatti), un auteur divorcé depuis deux
ans, en attente de publication et Jack Lapate (Thomas Haden Church),
un ancien acteur de roman savon américain et vieil ami de Raymond,
en attente, lui, d'un mariage. N'ayant pourtant plus rien en commun,
les deux amis, l'un introverti et nerveux et l'autre décontracté
et charismatique, vont partir en vacances ensemble. Sur les lieux, ils
rencontreront Maya (Virginia Madsen) et Stephanie (Sandra Oh). La première
réveillera l'homme enfoui au plus profond de Miles et la deuxième
mettra Jack en danger sentimental.
Tout entourant Sideways - mis à part quelques collages
de scènes ne pouvant appartenir qu'à l'ère numérique
- paraît aussi vieux qu'une des comédies les plus conventionnelles
de Woody Allen : la musique, les plans de vue, la structure linéaire,
etc. L'emphase est définitivement mise sur le jeu exceptionnel
des acteurs et à ce sujet le duo formé de Paul Giamatti
(American Splendor, Man on the Moon) et Thomas Haden
Church s'avère l'un des plus attachants des dernières
années, dans la comédie américaine! Dans un contraste
naturel, Giamatti continue d'exceller dans les rôles de grands
blasés pendant que Church constitue sa parfaite antithèse.
Ainsi, le premier trouve la plupart des vins imparfaits pour telle et
telle raisons de raffinement alors que l'autre aime tout ce qu'il boit.
L'un n'ose pas et l'autre ose trop. Jack désire profiter de cette
semaine de vacances : avoir une aventure extra conjugale, juste avant
son mariage. Miles devient profondément déprimé
lorsqu'il apprend de son ami que son ex-femme vient de se remarier.
Dans une scène où Miles appelle son ex-femme lors d'un
souper au restaurant en compagnie de Jack, Maya et Stéphanie,
l'image devient aussi floue que l'état d'esprit de l'affligé.
La scène en question est très courte. Dans la première
version de « Sideways », une scène de rêve
durant laquelle Miles visite le côté sombre, lors de ce
même souper, avait été élaborée. Finalement,
Payne est revenu à une présentation plus sobre. Sideways
nécessite certainement ce type de retenu malgré les excès
des deux personnages. D'ailleurs, juste un peu après le souper,
Paul Giamatti (Miles) et Virginia Madsen (Maya) ont l'honneur de participer
à la scène la plus émotionnelle du film. Il s'agit
d'une scène sentimentale très calme et toute en subtilités
où l'intimité avec les deux personnages est telle qu'on
se surprend à s'imaginer à leur place ou du moins en leur
compagnie. Maya flotte sous l'effet du vin alors que Miles semble se
demander s'il doit se décontracter ou non en se laissant porter
par les ailes de l'autre. Le réalisme de cette scène la
rend incroyablement difficile à oublier.
Toutes les comédies noires sont extrêmement difficiles
à terminer. Sideways suggère avec beaucoup d'incertitude
le destin de Jack et, à l'aide de trois points de suspension,
ouvre presque une porte d'espoir dans la vie de Miles, mais pas vraiment...
Version française : À la dérive
Scénario : Alexander Payne, Jim Taylor, Rex Pickett (roman)
Distribution : Paul Giamatti, Thomas Haden Church, Virginia Madsen,
Sandra Oh
Durée : 123 minutes
Origine : États-Unis
Publiée le : 10 Février 2006
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