SHUTTER (2004)
Banjong Pisanthanakun
Parkpoom Wongpoom
Par Jean-François Vandeuren
Les récents films d’horreur asiatiques tels Ju-On
et Ringu qui ont traversé le Pacifique pour aboutir
sur nos écrans dans leur forme originale et celle d’une
copie américaine ont pour la plupart un personnage type en commun,
soi cette mystérieuse jeune fille visiblement amochée
aux longs cheveux noirs qui a cette vilaine habitude d’être
morte. Cette dernière vient alors hanter d’une manière
abominable certains individus afin d’assouvir sa soif de vengeance,
résultant d’un passé troublant qui l’empêche
de dormir en paix. Le but du film entre les diverses apparitions de
celle-ci sera évidemment de découvrir ce qui l’aura
mis dans une telle colère. Après la cassette vidéo
abstraite, c’est dans un contexte un peu plus réaliste
que la jeune demoiselle se manifeste. Shutter est une production
qui ne réinvente en rien cette formule, loin de là. Mais
les atmosphères indiscutablement horrifiantes et la mise en scène
souvent insoutenable du film de Banjong Pisanthanakun et Parkpoom Wongpoom
lui permettent de surclasser sans trop de difficultés bon nombre,
sinon la totalité, des efforts ayant exploité dans le
passé cette histoire d’esprit malveillant au visage voilé
d’une coiffure imposante.
L’idée de base de Shutter s’inspire de ces
photographies bien réelles sur lesquelles nous pouvons apercevoir
le spectre d’une personne décédée. Bien sûr,
plus souvent qu’autrement, il s’agit d’un canular.
Mais il reste néanmoins ces quelques cas auxquels la thèse
de la photo truquée ne colle pas. Dans Shutter, les
mésaventures de Tun et Jane, un couple de photographes, comme
par hasard, débutent suite à un accident où ils
ont malencontreusement heurté une jeune fille apparue subitement
au beau milieu de la route. Pris de panique, ils quittent les lieux
sans venir en aide à la victime. C’est alors que des formes
bizarres ressemblant à cette dernière commencent à
apparaitre sur les photos récemment prises par Tun. Ne pouvant
plus vivre avec ce qu’ils croient dû à la culpabilité,
Tun et Jane retournent alors sur les lieux de l’accident pour
découvrir que personne n’a été renversé
ce soir là. Ces apparitions chocs et cauchemars se mélangeant
à ce qui semble être la réalité se manifestant
de plus en plus, l’explication logique à toute cette histoire
se trouve vraisemblablement ailleurs.
Il s’agit évidemment d’une histoire typique de bien
des films du genre, mais qui réussit tout de même à
élever ingénieusement dans le cas présent un facteur
de stress jusqu’à des sommets assez vertigineux, le juxtaposant
à une prémisse dont la prévisibilité est
fort heureusement voilée par un scénario intriguant et
diaboliquement rythmé. Les deux cinéastes y développent
aussi une tension psychologique au niveau des personnages, principalement
celui de Tun qui se retrouvera, on s’en doute bien, directement
concerné, le plaçant dans un conflit moral adroitement
ficelé que supporte Ananda Everingham par un jeu des plus nuancés.
De sorte que l’effort réussit à capitaliser sur
une atmosphère de frayeur constante qui ne relève pas
seulement des quelques sauts habituels introduits stratégiquement.
Shutter démontre également un savoir-faire de
plus en plus rare dans le genre où plutôt que de tenter
par essais et erreurs le développement d’une approche révolutionnaire,
les deux réalisateurs thaïlandais prouvent à l’opposée
qu’il y a encore une façon d’exploiter à bon
escient une formule assez âgée, mais qui n’a visiblement
pas encore fait son temps. Ceux-ci délaissent de ce fait le style
glauque et plus onirique des derniers paris du genre pour une attaque
de plein front qui reprend parfaitement les mouvements saccadés
de son spectre pour servir les effets chocs du film, la plupart amené
par un montage particulièrement épuisant qui nous martèle
sans relâche, lequel n'est pas sans rappeler le jouissif sketch
Le Monstre au chalet des éternels Chick'n Swell. S’y
fond du même coup une tension musicale soulignant à tout
coup les hauts moments de suspense. Une entreprise qui, comme tout le
reste, effraie plutôt que de nous inciter à soupirer
Pour un premier long-métrage, Shutter impressionne,
particulièrement dans un genre où il est si facile de
faire paraitre les meilleurs intentions pour une vulgaire farce. Le
simple fait que Banjong Pisanthanakun et Parkpoom Wongpoom soient parvenus
à faire un film d’horreur aussi prenant avec du réchauffé
incite forcément au respect. Le duo se sort d’ailleurs
particulièrement bien d’affaire au niveau de la création
d’ambiances macabres et d’un climat de frayeur palpable
que les films précédents ne réussissaient pas toujours
à mettre en scène. Shutter n’aura peut-être
pas parti le bail de cette série de films, mais demeure assurément
un des plus efficaces à ce jour. Et vous aurez deviné,
les Américains préparent déjà un remake.
Version française : -
Scénario :
Banjong Pisanthanakun, Parkpoom Wongpoom
Distribution :
Ananda Everingham, Natthaweeranuch Thongmee, Achita
Sikamana
Durée :
97 minutes
Origine :
Thaïlande
Publiée le :
23 Août 2005