SHOPGIRL (2005)
Anand Tucker
Par Jean-François Vandeuren
Débarrassons-nous tout de suite des comparaisons faciles entre
ce Shopgirl d’Anand Tucker et le somptueux Lost in
Translation de Sofia Coppola. Pas qu’elles soient très
nombreuses, même qu’il s’agit en fait de deux films
fort différents de bien des manières, mais quelques ressemblances
notables au niveau des thématiques et de la mise en scène
persistent malgré tout. En particulier dans la façon dont
l’effort de Tucker s’articule autour de certaines ambiguïtés
du développement des relations amoureuses et interpersonnelles.
Mais plutôt que de nous faire valser dans un contexte basé
sur les subtilités d’un tel propos tout en s’en tenant
à une certaine distance, Tucker nous y plonge d’une manière
beaucoup plus directe. Il est pourtant clair que le cinéaste
américain a aussi pris goût aux touches de nuance presque
oniriques du sublime effort de Sofia Coppola et tente à plus
d’une reprise d’en reproduire les effets. En ce sens, Shopgirl
se tient debout par lui-même, mais n’harmonise malheureusement
pas ces deux approches avec autant de tact que l’on pouvait espérer.
Shopgirl relate le récit d’une jeune femme qui
quitta sa ville natale du Vermont pour faire sa vie à Los Angeles.
Elle occupe depuis un poste banal dans un grand magasin. Son existence
jusque là peu mouvementée et solitaire sera tout à
coup chamboulée lorsque deux hommes s’intéresseront
subitement à elle en même temps. Tous deux auront évidemment
une approche de la vie bien différente à lui proposer
et partant de ce point, Shopgirl ne cherche heureusement pas
à nous ramener tous les clichés entourant la traditionnelle
histoire de la jeune femme devant choisir entre un vieux type riche
tout ce qu’il y a de plus mal intentionné, et l’autre
plus pauvre qui a étrangement le cœur sur la main. Avec
l’adaptation de ses propres écrits, Steve Martin tente
plutôt d’explorer les relations amoureuses sans nécessairement
faire appel à ce genre de caractérisations ou de dilemmes.
Martin reprend pour se faire son mélange habile de drame, de
romance et de comédie qu’il exploita à quelques
reprises à la fin des années 80 et au début des
années 90. Le présent effort tire ainsi une fois de plus
son charme de diverses mises en situation auxquelles le spectateur peut
facilement s’identifier, à savoir l’attente interminable
dans le développement d’une telle relation, l’absence
de réciprocité, ces moments où l’on peut
avoir tendance à se jeter un peu trop de poudre aux yeux pour
ne pas être à nouveau envahi par le vide, et les inévitablement
pénibles retours à la réalité qu’ils
occasionnent ensuite.
Malgré sa mise en scène somme toute assez classique, le
film d’Anand Tucker parvient à se démarquer à
certains égards par un jeu de caméras et de couleurs fort
bien manœuvré, même si de son côté, le
directeur de la photographie Peter Suschitzky ne parvient pas toujours
à tirer son épingle du jeu comme il avait su le faire
dans un tout autre registre lors de ses nombreuses collaborations avec
David Cronenberg. Le film de Tucker propose tout de même une approche
esthétique pouvant s’afficher sous un jour assez somptueux
afin de rendre palpable autant son côté romantique que
mélancolique, en particulier par le biais d’effets de montage
bien intégrés, comme quelques ralentis, et de la trame
sonore.
Mais même si le développement de l’histoire a tendance
à emprunter une ligne directrice empilant les séquences
s’imprégnant d’une lenteur qui lui va comme un gant,
l’ensemble manque malgré tout de vigueur. Ce qui est assez
dommage, car Anand Tucker affiche un contrôle évident sur
son récit du début à la fin et parvient à
exploiter à tout aussi bon escient les points les plus importants
du scénario très expressif de Steve Martin. Le jeu des
acteurs se révèle également un des points forts
du mélange alors que le toujours pertinent Jason Schwartzman
complète à merveille la composition de personnage plus
nuancée proposée par Claire Danes et Steve Martin. Shopgirl
se veut ainsi un effort qui, en son genre, a tous les éléments
à la bonne place et dans lequel Martin propose à nouveau
un mélange élégant d’une formule qu’il
connaît par cœur. Dommage qu’il n’y ait pas plus
de surprises au rendez-vous.
Version française : -
Scénario :
Steve Martin
Distribution :
Steve Martin, Claire Danes, Jason Schwartzman,
Bridgette Wilson
Durée :
104 minutes
Origine :
États-Unis
Publiée le :
1er Décembre 2005