SHATTERED GLASS (2003)
Billy Ray
Par Jean-François Vandeuren
Peu importe le journal ou le magazine, on s’intéresse aux
médias d’informations avant tout pour profiter de l'une
des rares opportunités de nous ouvrir les yeux sur le reste du
monde. Certains préfèrent le sensationnalisme, se faire
bercer le matin en s’injectant son déjeuner et un bon café
latté tout en se complaisant à regarder le reste du monde
se transformer en un immense reality show. «Les concurrents
mis au ballottage cette semaine : Saddam et George. Qui allez-vous sauver?»
Telle est la question! À l’opposée, d’autres
veulent des faits. Mais pour que le spectacle continue, cela exige parfois
d’altérer quelque peu la réalité. Une des
approches est présentement sur le déclin. Pas sorcier
de deviner laquelle.
Cette histoire sur la naïveté se base sur le cas véridique
de Stephen Glass (Hayden Christensen), un ancien journaliste du magazine
américain The New Republic qui se fit prendre la main
dans le sac suite à la publication d’un douteux article
sur le piratage informatique dont tout n’était que fiction.
Du coup, la bulle illusoire si bien forgée par le jeune idéaliste
auprès de ses collègues tomba pour révéler
comment il a su si habilement et dangereusement faire publier par un
des plus prestigieux magazines de la scène politique des États-Unis
des articles si accrocheurs, mais complètement faux, pour des
faits.
Pour son premier long métrage à titre de réalisateur,
Billy Ray ne risque pas d’impressionner énormément
de gens en ce qui a trait à l’aspect esthétique
de son film. Il est plus qu’évident que la réalisation
n’était pas l’élément le plus important
aux yeux de ce dernier. Par contre, la chair même de Shattered
Glass se trouve plutôt sur le plan littéraire où
Ray, agissant aussi à titre de scénariste, parvient à
jouer d’une grande adresse en développant les thèmes
forts de son film, se concentrant essentiellement sur certaines failles
importantes du monde journalistique actuel. Il réussit d’autant
plus à rehausser astucieusement l’impact de son discours
en empruntant certaines techniques du journalisme de son personnage
titre pour en arriver à manipuler son auditoire de la même
façon que ce dernier berna ses lecteurs.
Il critique à la base la problématique évidente
du journalisme d’information se faisant de plus en plus dévorer
par un virage sensationnaliste adopté par un nombre inquiétant
de médias dans une lutte où de nos jours le contenant
doit primer sur le contenu. C’est aussi dans cette optique qu’il
tend à dresser un portrait du journaliste derrière l’article
où dans le cas de Stephen Glass, ce dernier laisse tomber les
bases mêmes de sa profession pour s’abandonner à
une quête irréelle et corrompue vers la célébrité.
Mais n’est-ce pas ce à quoi notre société
tient si fermement à nous faire rêver avec tout l’engouement
suscité pour la célébrité instantanée
où «tout le monde» a désormais sa chance de
rejoindre le jet-set? Problématique appuyée par une scène
fort intéressante où une jeune rédactrice oeuvrant
pour le même magazine tend à accéder au prestige
que reçoit Glass auprès de ses collègues en tentant
de rédiger des articles tout aussi punchés, mais
sans succès. Elle qui écrivait surtout sobrement, à
la recherche des faits, verra Glass s’élever alors qu’elle
continuera de faire du surplace.
Une autre question qu’on se pose est comment autant de papiers
vides de sens ont réussi à passer aussi facilement devant
les processus de vérification du magazine pour aboutir ensuite
entre les mains des personnes les plus influentes du pays? Ray soulève
ici un autre point important dans le tairement de l’information.
En ce sens, dans son premier rôle post-Star Wars, le
jeune acteur canadien Hayden Christensen s’en tire avec mention
en réussissant à construire ce personnage désarmant
en qui on ne peut (veut) qu’avoir confiance. Dans cet ordre d’idées,
le cinéaste en vient instinctivement à créer une
figure métaphorique bien imaginée de la famille au sein
de l’organisation du périodique. Si Christensen représente
le symbole idéal de la jeunesse réussissant à s’imposer
rapidement dans le monde des grands, il est clair que la figure patriarcale
de l’organisation est le nouvel éditeur la jouant à
l’ancienne (bien campé par Peter Sarsgaard), ce qui donnera
lieu au développement d’une tension traditionnelle «père/fils».
C’est également dans cette polémique que Billy Ray
berne le mieux le spectateur. Pas nécessairement parce que le
personnage de Sarsgaard est développé à la manière
de l’habituel patron antipathique, mais plutôt car il nous
fait prendre parti pour Stephen Glass qu’on tient à encourager,
qu’on veut voir réussir. C’est pour cette raison
que ce dernier nous est présenté comme un personnage à
la fois fort charismatique et en même temps si peu sûr de
lui-même où l’on tend à soulever l’idée
de l’angoisse face à la performance et du développement
des mécanismes de défense adoptés pour éviter
qu’une déception se crée face à notre travail.
De sorte que la figure parentale en vient inévitablement à
se jeter de la poudre aux yeux, pas nécessairement pour ne pas
être déçue, mais plutôt pour être fière.
Bref, nul doute que ceux qui ressortent gagnants de cet effort sont
Hayden Christensen qui vient démontrer avec prouesse son potentiel
en tant qu’acteur, ainsi que le cinéaste Billy Ray, qui
par un traitement plutôt sobre, réussit tout de même
à transposer sur deux fronts son essai sur la duperie médiatique
et l’importance du soulèvement d’un tel questionnement
à une époque où les médias occupent désormais
le poste de nouveau messie.
Version française : -
Scénario :
Billy Ray, Buzz Bissinger (article)
Distribution :
Hayden Christensen, Peter Sarsgaard, Chloë
Sevigny, Steve Zahn
Durée :
99 minutes
Origine :
États-Unis
Publiée le :
17 Mai 2004