SHALLOW GRAVE (1994)
Danny Boyle
Par Alexandre Fontaine Rousseau
L'amitié est un concept bien relatif dans l'univers de Danny
Boyle, chose qu'Alex (Ewan McGregor), Juliet (Kerry Fox) et David (Christopher
Eccleston) sont sur le point d'apprendre à leurs dépends.
Il semble en effet que dans chaque film du réalisateur écossais,
un élément vient perturber les règles qui régissent
les relations humaines, que ce soit la drogue dans Trainspotting,
la liberté que gagnent les jeunes protagonistes de The Beach
ou même le virus qui dévaste la population britannique
dans 28 Days Later. Et c'est souvent l'amitié, valeur
que plusieurs disent pourtant sacrée, qui en prend pour ses frais.
Dans Shallow Grave, c'est l'argent qui vient ébranler
l'ordre établi, et qui détruit cette prétendue
confiance qu'entretenaient trois comparses supposés inséparables.
Leur chute libre vers les profondeurs les plus abyssales de la paranoïa
nourrit l'ambiance asphyxiante de ce thriller absolument époustouflant
qui, tout en démontrant une grande maitrise des leçons
du maitre Hitchcock, annonce haut et fort l'arrivée de l'une
des voix les plus distinctes de sa génération.
Pourtant, Shallow Grave fait preuve d'une remarquable économie
de moyen. Un décor simple, un nombre fort limité de personnages
et un scénario sans fioritures sont tout ce dont a besoin Boyle
pour nous plonger dans un climat lourd à la limite de la claustrophobie.
Et bien que certaines images du film soient troublantes, ce n'est pas
par l'entremise d'un vulgaire effet de choc que Boyle réussit
à instaurer une telle tension mais bien grâce à
la psychologie finement ciselée de ses personnages. Car, en effet,
Alex, Juliet et David sont trois figures profondément crédibles
dont nous suivons intimement l'évolution, dont les motivations
sont claires et dont les réactions sont parfaitement compréhensibles.
Qui ne s'est jamais demandé ce qu'il ferait s'il trouvait une
grosse somme d'argent d'origine louche, qu'elle soit accompagnée
ou non d'un cadavre? Et qui n'a jamais caressé l'idée
de la garder? C'est justement la situation à laquelle est confronté
notre cynique trio. Peu importent les circonstances qui les placent
en présence d'une telle somme. Ce qui compte, c'est l'argent,
la confiance et l'amitié, non?
David hésite, certes, mais la perspective de demeurer comptable
toute sa vie le convainc finalement d'entrer dans le jeu. Les personnages
de Shallow Grave, après tout, ne veulent pas être
des victimes de l'existence. Et malgré tous leurs travers et
la méchanceté dont ils peuvent faire preuve, Boyle réussit
à les rendre sympathiques car, tout comme il le faisait dans
Trainspotting, il nous rappelle que ce sont des humains malgré
tout ce qu'ils font. Mais ce qui frappe d'abord et avant tout, c'est
cette tension terriblement tangible qui monte lentement, ce petit côté
morbide parfaitement dosé et cet humour de la couleur du charbon
qui vient rendre le tout plus divertissant tout en ne gâchant
en rien l'ambiance opaque du film. Après coup seulement se rend-on
compte de l'inventivité avec laquelle la caméra capture
le tout, de l'interprétation remarquable qu'offrent les trois
comédiens principaux ainsi que de l'efficacité de ces
dialogues aussi drôles que révélateurs.
Et alors que l'on reprochait à bien des thrillers de la même
époque une fin convenue, celle de Shallow Grave dépasse
toutes nos attentes et glace le sang même après plusieurs
écoutes. Jusqu'où va l'amitié? Boyle du moins,
semble douter de son statut prétendument intouchable. Son cinéma
va à l'encontre du courant, d'Hollywood et des buddy movies
plus niais et naïfs les uns que les autres dont il nous abreuve.
Certes, ses personnages légèrement amoraux ne sont pas
aussi édifiants que les éternels amis dont nous gave la
machine à rêves, mais ils sont beaucoup plus en contact
avec la réalité. L'important, toutefois, est que Shallow
Grave demeure l'un des thrillers les plus diaboliquement efficaces
des années 90.
Version française :
Petits meurtres entre amis
Scénario :
John Hodge
Distribution :
Kerry Fox, Christopher Eccleston, Ewan McGregor,
Ken Scott
Durée :
93 minutes
Origine :
Angleterre
Publiée le :
2 Août 2004