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SHADOWS AND FOG (1992)
Woody Allen

Par Alexandre Fontaine Rousseau

Affirmer que tous les films de Woody Allen partagent un certain air de famille serait un euphémisme. Oeuvre d'une grande cohérence selon ses admirateurs et d'une terrible redondance aux dires de ses détracteurs, elle semble replacer d'un film à l'autre certains éléments clés dans différents contextes. Ainsi, Shadows and Fog envoi l'archétype du héros allenien, ce Juif névrosé pour lequel la vie se résume au sexe et à la mort, en plein coeur de ce qui semble être une ville d'Europe de l'Est de la fin du 19e siècle, où sévit un meurtrier qui étrangle ses victimes avec une corde de piano. D'inspiration expressionniste allemande, la facture visuelle léchée de Shadows and Fog en est le premier aspect frappant. Mais une fois cette superbe façade dépassée, le 23e film d'Allen s'avère l'un des meilleurs qu'il ait réalisé durant les années 90.

Kleinman (Allen) est réveillé au beau milieu de la nuit par un groupe de citoyens décidés à capturer le psychopathe qui terrorise leur ville depuis les dernières semaines. Sans partager avec lui ne serait-ce qu'un seul des éléments du fameux plan qu'ils semblent tous suivre à la lettre, ils envoient le pauvre homme déambuler solitairement dans la nuit sinistre sans la moindre idée de son rôle dans l'opération en cours. À la lisière de la ville, dans les roulottes d'un cirque ambulant, Irmy (Mia Farrow) et son clown de concubin (John Malkovich) se disputent au sujet de leur avenir. Elle veut fonder une famille et il veut poursuivre son évolution artistique en paix. Après l'avoir surpris dans les bras de Marie (Madonna), Irmy se sauve dans la jungle urbaine.

Le point qu'ont en commun tous les personnages importants de Shadows and Fog, c'est de ne pas avoir de raison d'être. Tous avancent à tâtons dans cette ville devenue sauvage au couché du soleil. C'est à partir de cette situation métaphorique qu'Allen construit tout le propos de ce film qui, comme tous les meilleurs de son oeuvre, arrive à un juste équilibre entre ses visées purement ludiques et ses prétentions intellectuelles. Shadows and Fog s'appuie beaucoup plus sur l'humour de ses situations que sur celui des échanges verbaux. Par la même occasion, il arrive à esquisser un amusant portrait d'une Europe antisémite d'avant la Seconde Guerre mondiale et à caricaturer en quelques clins d'oeil l'aveuglement dont peut faire preuve une foule nourrie par la paranoïa. Alors que l'Église catholique dresse une liste d'éléments juifs orthodoxes sur lesquels blâmer les meurtres, la foule à la recherche du tueur se divise en diverses factions adversaires qui s'entre-tuent afin de faire prévaloir leur «plan». Finalement, c'est à une sorte de devin olfactif que l'on charge de trouver l'assassin.

Splendide pastiche visuel du cinéma expressionniste allemand, Shadows and Fog est d'abord et avant tout une réussite marquée au niveau de la photographie, des éclairages et des décors. Cela dit, une impressionnante distribution assure que les divers personnages de cette histoire soient campés avec cran. Aux nombreuses vedettes nommées plus haut s'ajoutent entre autre Jodie Foster, John Cusack, Kathy Bates, Donald Pleasance et William H. Macy. Film d'atmosphère, Shadows and Fog est avant tout la création d'un univers fermé où la raison n'a pas toujours sa place. Mais alors que cette absence de raison prend une forme menaçante tout au long de l'aventure de Kleinman, elle devient libératrice lorsqu'utilisée par un artiste pour se défendre contre le tueur en fin de parcours.

Cette splendide finale fantaisiste demeure l'un des points forts de Shadows and Fog. C'est aussi au cours de celle-ci qu'Allen offre enfin à ses personnages cette raison de vivre qui leur faisait défaut et donne un sens à leur existence. Les personnages de Farrow et de Malkovich adopteront l'enfant d'une victime du tueur. Kleinman, quant à lui, se joindra au cirque en tant qu'assistant-magicien. L'acceptation de cette profession symbolique qui traverse l'oeuvre d'Allen à titre de métaphore du cinéaste est une réaffirmation du rôle de l'art dans ce bas monde. Allen, comme son alter égo, confirme l'importance de ce magicien qui peut faire oublier à l'homme, ne serait-ce que l'instant d'un film, toutes ses angoisses existentielles. Avec Shadows and Fog, il y arrive encore une fois haut la main, même si l'effet de surprise n'est pas toujours au rendez-vous.




Version française : Ombres et Brouillard
Scénario : Woody Allen
Distribution : Woody Allen, Mia Farrow, John Malkovich, Madonna
Durée : 85 minutes
Origine : États-Unis

Publiée le : 20 Novembre 2004