LES SEPT JOURS DU TALION (2010)
Podz
Par Nicolas Krief
Jeu malsain, sous-genre puéril à souhait, la torture
porn est un pan foncièrement vulgaire du cinéma d’épouvante.
Avec ses quelques séries parues depuis une dizaine d’années,
il n’a cessé de trouver preneurs et ses artisans sont maintenant
des rock stars auprès des cinéphiles en quête de
sang, de démembrements, de gore quoi. Très loin
par contre du cinéma gore auto dérisoire de Jackson
et Raimi, la torture porn consiste en un exercice visant à
repousser les limites du bon goût et jouant sur les effets cathartiques
pervers de voir un être humain torturé à mort de
façon souvent gratuite. Auteur dévoué à
la sensation forte, à l’extrême, Patrick Sénécal
semble beaucoup s’amuser à pousser les frontières
du tolérable, amenant certains questionnements sur des phénomènes
sociaux et des enjeux moraux toujours plus sombres. Son roman Les
Sept jours du talion, aussi premier long-métrage du réalisateur
de télévision Podz, pourrait facilement entrer dans ce
sous-genre de l’horreur. Sa trame de base rappelant la vengeance
omniprésente dans la série des Saw (1 à
6), mais est doublée d’un effet de réalisme, de
tangible encore plus troublant. Troublant visuellement bien sûr,
mais aussi moralement, car les auteurs semblent vouloir laisser derrière
le film des impressions d’ambiguïté et de doutes à
l’aide d’un récit qui accumule les questionnements.
Mais c’est dans l’exécution que Podz et Sénécal
viennent nous offrir un festin sanglant sans grande finesse.
Bruno Hamel, chirurgien prestigieux dont la fille de huit ans a été
violée et tuée, kidnappe et séquestre un homme
soupçonné d’avoir commis cet odieux crime. Son plan
est de le torturer pendant sept jours pour ensuite le tuer et se rendre
à la police. L’adaptation, signée de la main du
romancier lui-même, souffre d’abord de dialogues boiteux
dans sa première demi-heure. Des répliques parfois incongrues
et même étranges pavent l'introduction au ton mièvre
légèrement appuyé. La descente aux enfers est par
contre assez silencieuse, nous évitant des écarts de langage
qui auraient rendu le voyage encore plus lourd.
Bien que voulant se rapprocher d’un Funny Games (Haneke,
1997 et/ou 2007), le film penche beaucoup plus vers un Saw
au niveau de ses thématiques, ou vers un Hostel avec
son efficacité esthétique. C’est d’ailleurs
dans ce souci d’efficacité de la réalisation que
le tout devient un objet éthiquement discutable, questionnable.
Pourquoi nous présenter un sujet abject de façon aussi
enivrante? Générer une telle excitation, un tel engouement
pour des scènes de torture sordides relève d’un
procédé assez pervers. Alors que le percutant Martyrs
de Pascal Laugier amenait un véritable bouleversement de la représentation
de la torture au cinéma, Les Sept jours du talion, avec
sa technique presque aussi parfaite que celle de son contemporain, n’offre
pas vraiment le raisonnement tant clamé par certains commentateurs
à propos du film. Face au film de Laugier, qui propose quelque
chose d'extrêmement subversif, les plans voyeurs et la facilité
de la morale des Sept jours du talion (la vengeance n’est
pas une solution, elle ne guérit pas les maux, transforme l’homme
en bête, etc.) ne font pas le poids et n’amènent
pas le film au niveau désiré. Mais c’est surtout
dans sa manière de nous faire attendre la violence, de nous la
faire désirer que la réalisation experte de Podz dérange.
On ne l’appréhende pas, elle n’est plus laide et
suggérée, elle devient, sous ses doigts d’expert,
graphique et spectaculaire.
Si ce n’est de cette question éthique (tout de même
fondamentale) Les Sept jours du talion profite d’une
mise en scène de maître. Le talent exceptionnel de Podz
pour la réalisation froide et tendue rend bien justice à
l’univers de Sénécal, aussi douteux qu’il
puisse être. Sa caméra est fluide, ses mouvements amples
sont signe d’une capacité hors du commun à établir
un climat pesant, générant un ton adéquat au récit
raconté. Marque d’un future grand du cinéma de genre
d’ici (on espère le voir continuer dans cette voie), le
point fort du film tient donc de l’orchestration de Podz. À
défaut de nous raconter une histoire psychologique complexe,
il réussit sans nul doute un exploit formel mémorable
qui surpasse de loin certains films récents esthétiquement
viables. Accompagnent cette réalisation maîtrisée
des performances de haute voltige, menées par un Claude Legault
sidérant de vérité. Son jeu fin et subtil, son
regard changeant nous glace le sang et ajoute au côté réel
du film. Mais encore une fois, toutes ces tentatives de nous rapprocher
de la réalité traduisent une perversité inacceptable,
qui forceraient un spectateur doté de bon sens à sortir
de la salle.
Les Sept jours du talion se veut au final une entrée
en scène un brin tape à l’ oeil. Podz s’impose
par contre comme un maître en devenir, bien qu’il ne le
soit déjà sur le petit écran. Ses séries
télévisées (C.A., Au nom de la loi
et la fabuleuse Minuit, le soir) célébrées
avec raison par l’ensemble de l’audimat québécois
lui ont permis d’entrer par la grande porte dans le monde du septième
art (comme s’il ne le pratiquait pas déjà). Quant
a Sénécal, son style n’aurait pas pu être
mieux servi, et bien que son sujet déplaise a l’auteur
de ces lignes, il n’en reste pas moins que le duo nous offre un
film formellement achevé, mais au récit un peu plat et
aux idées tordues. Mention spéciale à Bernard Couture
à la direction photo ; son travail franchement superbe. Reste
maintenant à voir ce que le public fera du débat que le
film désire déclencher. Car bien qu’il veuille provoquer
chez nous cette question, à savoir : pour ou contre les agissements
d’Hamel, Les Sept jours du talion prend une position
claire, ce qui viendrait peut-être clore le débat avant
même qu’il ne débute. Établir un tel consensus
annule donc l’importance qu’aurait pu avoir le film, et
puisqu’il évite la véritable provocation, il ne
devient qu’un monstre pas très effrayant.
Version française : -
Scénario :
Patrick Sénécal
Distribution :
Claude Legault, Rémy Girard, Martin Dubreuil,
Fanny Mallette
Durée :
103 minutes
Origine :
Québec
Publiée le :
5 Février 2010