SECOND SKIN (2008)
Juan Carlos Pineiro-Escoriaza
Par Mathieu Li-Goyette
Plus tôt cette année, c’est le film du Belge Nic
Balthazar, Ben X, qui retint l’attention pendant un bref
instant sur la communauté grandissante du jeu vidéo. Désignée
officieusement nouvelle drogue par excellence du XXIe siècle,
la couverture des mauvaises habitudes qu’entraîne le jeu
impulsif est devenue, depuis quelques années, le dada préféré
des tantes inquiètes et des psychologues des médias ;
et pourtant, le problème existe depuis bien avant ce fameux «
bogue » de l’an 2000.
Se sentant maintenant concernés à la suite des tueries
des récentes années où les jeunes auraient dit
s’inspirer de jeux vidéo, plusieurs organismes se sont
créés, principalement aux États-Unis, pour lutter
contre l’épanouissement d’un tel genre de passe-temps.
Rejetés des communautés, et stigmatisés par leurs
proches, les gamers se sont rapidement rassemblés en
micro-sociétés à travers la Toile. Des premiers
jeux de rôles sur table aux toutes dernières extensions
de World of Warcraft, le culte des «MMORPGs» («
Massively Multiplayer Online Role Playing Game ») fait
maintenant partie intégrante de la vie de plus de 50 millions
d’utilisateurs à travers le globe. Économie interne
et lieux de rencontres en tous genres, cette deuxième peau que
certains se plaisent à revêtir plus de dix heures par jour
en a même mené quelques-uns au suicide, d’autres
à l’obésité morbide, d’autres à
trouver le grand amour ou même à parvenir à leurs
rêves de vie « normale ». Légitimement, c’est
la composition binaire de cette deuxième peau qui fera l’objet
de Second Skin, documentaire hors-parcours prenant son envol
au festival Fantasia ; lieu de rassemblement rare, mais culte d’une
légion de gamers montréalais.
Heureusement pour ce sujet sensible, Juan Carlos Pineiro-Escoriaza cherche
rarement à comparer ses cobayes gamers, mais aide plutôt
les non-gamers à comprendre leurs opposés tout
en démontrant auxdits joueurs que selon leur situation actuelle,
la vie réelle reste possible et enviable si, bien sûr,
la volonté d’y vivre demeure présente. Quatre colocataires
« accros », un joueur en désintoxication ainsi qu’un
couple vivant à un demi-continent de distance: ce sont ces bêtes
de cirque qui nous sont proposées en tant que portrait viable
d’un extrême qui ne cesse de repousser les limites de son
imaginaire tant créatif que malsain. Analyse ensuite du syndrome
du voisin maniaque, on pousse jusqu’à la représentation
le fait qu’en tant que culture de la télévision,
non plus de la sociabilisation, nous sommes amenés à penser
que chaque voisin peut être tueur, voleur ou même pire:
terroriste. Dans cette mesure, le cas des gamers en société
est analysé par plusieurs intervenants de haut calibre provenant
autant des sphères de la conception vidéo-ludique que
des chercheurs nouveau genre en la matière.
Second Skin passe aussi par plusieurs étapes d'une romance
proposée par le «blind date» pathétique
de deux fanatiques d’Everquest II. Relation hésitante,
ce n’est plus la sortie, puis le souper, puis le coucher, mais
bien le chat room, le micro et la webcam qui tissent des liens impénétrables.
Seconde vie où l’apparence est décidée par
l’être humain, la conscience reste fidèle aux intentions
du créateur compte tenu de cette capacité commode de pouvoir
se cacher derrière un masque pixélisé. Pas qu’une
question d’amour, la dépendance aux jeux vidéo mène
invraisemblablement au suicide chez ceux pour qui le jeu aurait remplacé
le monde réel. Déséquilibrée du chamboulement
que procure la perte d’un « item », d’une relation
en-jeu, ou la disparition du personnage, les suicides et les négligences
extrêmes de notre propre condition physique restent un fléau
dur à combattre pour les analystes, ces joueurs restant le plus
souvent de leur temps isolés de leur famille et de leurs amis
pendant de longues semaines. Pour cette occasion, rien de moins qu'un
centre d'aide aux jeunes joueurs géré par une dame âgée
dont le fils s'est suicidé pour une histoire de jalousie entre
son personnage et sa bien-aimée.
Tendancieux dans son identification peut-être trop banale à
un documentaire bon enfant sur le jeu vidéo, le long-métrage
trébuche dans plusieurs problèmes de représentation
quant à savoir la forme désirée du documentaire.
En passant d’interviews solennelles à des « faux
portraits » possiblement mis en scène par le cinéaste,
plusieurs moments frôlent le ridicule jusqu’à se
moquer gratuitement des gens interrogés. Mal à l’aise,
le spectateur, concerné ou non, ne peut que reculer devant un
tel pouvoir impératif de la caméra fouineuse qu’on
nous met dans les mains. Des séquences de montage alterné
trop agressives entre le mariage d’un couple « normal »
et celui d’un couple d’Everquest se retrouve, par
exemple, efficace au premier regard, mais à la limite honteux
après réflexion. Associations de faits dans le reste du
long-métrage, on devrait critiquer le culot du cinéaste
à comparer ainsi deux êtres humains, devant alors mériter
le même respect en dehors de tous loisirs, qu’ils soient
démesurés ou non. Trop enclin à vouloir nous présenter
ses « personnages » comme des binômes aux différentes
configurations, mais aux codes sources identiques, Pineiro-Escoriaza
passe à côté de bien plus d’un aspect de la
problématique, laissant l’officiel et finalement le véridique
dans la bouche de chercheurs au faible art oratoire et tout ça,
au profit du divertissement, de la bonne pilule qu’on avale sans
trop se poser de questions.
Dans les bornes d'un monde où certains se voient moins choyés
ou même handicapés par les malchances d’une vie,
la deuxième vie qu’offre ces objets de désirs collectifs
s’avère salutaire. Tirant à profit aussi de la condition
des invalides encore aptes à se servir de leurs mains, Second
Skin termine au moins sur une note d’espoir où la
modestie de la première heure laisse place à la réflexion.
Que dire de ces images où un paraplégique communique avec
nous par le biais de son clavier pour nous expliquer qu’avec cette
deuxième peau, il peut enfin parler, vivre sa vie, recevoir et
donner dans une société, certes numérique pour
le commun des mortels, mais ô combien véridique à
ses yeux; la seule qui lui soit réellement appréciable?
Après tout, l’excès ne vient qu’avec le jugement
des autres. Nous-mêmes étant capables d’en gérer
les propres débordements au risque d’en devenir dépendants,
la dépression de ces gamers commence peut-être
justement par cet oubli majeur: dépendre d’une société
implique inévitablement d’être jugé, classifié
et relégué à une fonction propre. Schéma
d'organisation infâme, certes, mais pas si éloigné
du fonctionnement transmis à ces machines que nous avons nous-même
engendrées jadis.
Version française : -
Scénario :
Victor Pineiro-Escoriaza
Distribution :
Kevin Keel, Andy Belford, Jeff Wilson, Heather
Cowan
Durée :
94 minutes
Origine :
États-Unis
Publiée le :
16 Juillet 2008