THE SEA INSIDE (2004)
Alejandro Amenabar
Par Louis-Jérôme Cloutier
Après une brève incursion à Hollywood avec The
Others, Alejandro Amenábar est retourné vers un projet
plus personnel et est parvenu à damer le pion à Pedro
Almodóvar et à La mala educación comme
représentant officiel de l’Espagne à la cérémonie
des Oscars. Inspiré par l’histoire véridique de
Ramon Sampedro, il décide de raconter le parcours de cet homme.
Devenu paraplégique dans sa jeunesse, Sampedro a dû passer
le restant de ses jours dans un lit ayant comme seul contact avec le
monde extérieur une fenêtre. N’ayant plus gout à
la vie, il décide de se faire entendre devant les tribunaux espagnols
afin de demander le droit de mourir dignement. Visiblement ému
par cette histoire et admirant le courage de Sampedro, Amenábar
dresse les derniers moments de cet homme afin de nous ouvrir les yeux
sur l’euthanasie, un débat de société qui
mérite d’être soulevé.
Si une seule chose devait être soulignée sur Mar adentro,
il s’agit clairement de la brillante et impressionnante interprétation
de Javier Bardem. D’abord réticent à employer un
acteur talentueux, mais trop jeune, Alejandro Amenábar s’est
rendu à l’évidence qu’aucun autre acteur n’aurait
pu jouer de façon aussi exemplaire le difficile rôle de
Ramon Sampedro. Sous la magie du maquillage, Bardem se transforme en
un personnage plus vrai que nature. Dans ce rôle très exigeant,
il livre l’une des meilleures performances de l’année
presque uniquement à travers la richesse de son expression faciale
et de sa voix. Plus important encore, il s’imprègne avec
justesse de la mélancolie de cet homme, cachant avec habilité
sa tristesse à travers des sourires criant de véracité
et d’humanité. Mais il serait injuste d’oublier le
travail effectué par le reste de la distribution qui est également
confinée à des rôles plutôt difficiles. Sous
l’excellente direction de Amenábar, les gens qui entourent
Sampedro ne semblent pas être des acteurs. Ce sont des êtres
humains attachant ne jouant pas la comédie, mais exprimant véritablement
des émotions d’une poignante sincérité.
Alejandro Amenábar opte avec raison de ne pas conférer
à son œuvre une noirceur mélo-dramatique. Au contraire,
on retrouve sans cesse une certaine lumière dans ce récit.
Plutôt que d’être un sombre requiem baignant dans
la tristesse et la mort, Mar adentro est davantage un film
rempli d’espoir et de vie. Et en laissant une bonne place à
un humour léger et sympathique, le scénario de Amenábar
rejette totalement la prétention. Bien entendu, le sujet couvert
a de quoi faire réfléchir, les paroles de Sampedro étant
une réquisition pour le droit de mourir dignement plutôt
que d’être obligé de supporter une existence sans
plaisir et sans joie. Mais la présentation de Sampedro ne présente
pas un homme dont chaque heure passée à vivre est une
torture, il s’agit plutôt d’un homme ayant souffert
sur une longue période, un être ne pouvant plus rien espérer
que la mort. Et au fil des échanges entre lui et les divers personnages,
dont un religieux également paraplégique tentant vainement
de lui faire entendre la raison chrétienne, on saisit parfaitement
la philosophie et la pensée de Sampedro et son combat devient
presque le nôtre. Mais le propos est tout à la fois nuancé,
les enjeux moraux étant présentés sans détour
évitant ainsi la manipulation du spectateur comme l’on
voit trop souvent dans ce type de film.
Outre Javier Bardem, Alejandro Amenábar compte également
pour beaucoup dans cette réussite. En plus de la présence
de ses excellentes compositions musicales, son scénario est tout
simplement excellent pour les raisons évoquées précédemment.
Et que dire de sa présentation des rêveries de Sampedro
qui fait comprendre rapidement en image la souffrance que peut éprouver
cet homme véritablement privé de sa liberté. L’utilisation
en flash-back de l’incident qui lui a pour ainsi dire couté
la vie se transforme en une métaphore de son existence. Il aurait
dû mourir noyé cette journée-là, mais après
s’être lui-même enlevé la vie, il n’y
a plus rien qui vient l’empêcher de mourir en paix et en
harmonie avec la mer, celle qui lui a donné la vie et qui l’a
reprise.
Bref, Mar adentro est une production de qualité offrant
une réflexion essentielle sur l’euthanasie qui doit impérativement
déboucher sur un débat de société ici comme
ailleurs. Javier Bardem demeure le meilleur attrait du film, une interprétation
magistrale qui à elle seule vaut amplement le visionnement. Un
film émouvant porteur d’un message important, celui du
droit de disposer de sa vie comme on l’entend.
Version française :
La Mer intérieure
Version originale :
Mar adentro
Scénario :
Alejandro Amenabar, Mateo Gil
Distribution :
Javier Bardem, Belén Rueda, Lola Duenas,
Mabel Rivera
Durée :
125 minutes
Origine :
Espagne
Publiée le :
7 Février 2005