LA SCIENCE DES RÊVES (2006)
Michel Gondry
Par Jean-François Vandeuren
En soi, c’est avec La Science des rêves que l’univers
délirant de Michel Gondry finit par avoir complètement
le dessus sur le septième art. Si le cinéaste français
compta sur le toujours génial Charlie Kaufman pour l’écriture
de ses deux premiers longs-métrages de fiction, le hasardeux
Human Nature et le chef-d’œuvre Eternal Sunshine
of the Spotless Mind, Gondry fit cette fois-ci cavalier seul et
signa à la fois le scénario et la réalisation de
ce projet ambitieux, mais pas impossible. Il en ressort évidemment
un film beaucoup plus personnel et tributaire de la folie visuelle de
plus de deux décennies de carrière dans le domaine du
vidéo clip et de la publicité. Fort heureusement, Gondry
sût toujours faire la distinction entre ces différents
médiums. La Science des rêves s’affiche
ainsi comme un effort à l’imagination débordante
qui se moque complètement des dernières technologies pour
retourner à une époque où nous voulions raconter
une histoire simplement pour le plaisir de la chose à l’aide
de tout ce qui pouvait nous tomber sous la main. La seule différence
est que Gondry a désormais à sa disposition un équipement
beaucoup plus sophistiqué et un casting des plus enviables.
Oscillant constamment entre le rêve et la réalité
au point où il devient parfois difficile de les distinguer l’un
de l’autre, le quatrième film de Michel Gondry raconte
une histoire d’amour somme toute plus convenue que celle d’Eternal
Sunshine of the Spotless Mind, mais le cinéaste ne se gêne
pas une fois de plus pour compliquer ce qui aurait pourtant pu être
si simple d’ordinaire. Ses deux marionnettes pour l’occasion
sont Stéphane et Stéphanie. Suite au décès
de son père, Stéphane quitta le Mexique pour s’installer
chez sa mère, à Paris. Pour s’assurer que le passage
de son fils dans la capitale française ne soit pas éphémère,
cette dernière lui dénicha un emploi peu stimulant dans
une fabrique de calendriers. De son côté, Stéphanie
vient tout juste d’emménager en face de chez Stéphane.
Si en théorie le duo formerait assurément un couple du
tonnerre, les difficultés de Stéphane à clairement
différencier ses rêves du quotidien s’avéreront
des plus problématiques alors que pour sa part, Stéphanie
semble vouloir s’engager dans une relation beaucoup plus lucide.
Après s’être intéressé à l’importance
de la mémoire et des expériences passées sur notre
cheminement en tant qu’individu, Michel Gondry scrute à
présent le côté plus éclectique du cerveau
humain. Pour illustrer une telle prémisse, le cinéaste
français s’en remit évidemment à une structure
narrative des plus éclatées dont il confit souvent les
rennes à ses deux protagonistes. Ceux-ci s’amusent alors
à interrompre le fil du temps, revenir en arrière, ne
serait-ce que pour une fraction de seconde, et mettre sens dessus dessous
autant les fondements du monde réel que de l’imaginaire.
Gondry y va d’ailleurs d’un coup de génie particulièrement
éclatant en abordant de façon inversée les théories
entourant les rêves lucides. Par son personnage de Stéphane,
Gondry nous confronte un peu à lui-même, soit un enfant
qui a refusé de grandir et qui cherche à effacer la morosité
du monde ambiant pour renouer avec une ère où tout prenait
des allures de jeux, où les objets les plus insignifiants pouvaient
avoir des pouvoirs extraordinaires.
Comme toujours, la facture visuelle des plus vivantes de Michel Gondry
s’avère irréprochable. La Science des rêves
adopte évidemment une vitesse de croisière particulièrement
rapide, mais tout ce chaos n’est pas forcément le résultat
de mouvements de caméra hyperactifs. Le rythme tonitruant de
l’effort est plutôt dû à l’abondance
d’action à l’intérieur de plans généralement
assez stables et d’un montage particulièrement alerte qui
semble dérailler à plus d’une reprise, mais qui
finit toujours par appuyer avec fougue les intentions du réalisateur
français.
Avec La Science des rêves (et par l’entremise des
rêves de Stéphane), Gondry effectue une sorte de synthèse
de sa carrière à titre de réalisateur. Ce dernier
se fait ainsi une joie de réutiliser les mains géantes
du formidable clip qu’il réalisa pour la chanson Everlong
des Foo Fighters et de renouer avec l’animation en « stop-motion
» pour donner vie à un monde imaginaire fait de cartons
recyclés, de papiers mâchés et de bidules étranges
de toutes sortes. Le tout est superbement mis en couleurs par la direction
photo étincelante de Jean-Louis Bompoint, laquelle n’est
pas sans rappeler celle que signa Ellen Kuras pour Eternal Sunshine
of the Spotless Mind. Si la mise en scène de Gondry se veut
ici particulièrement imposante, le cinéaste ne cherche
toutefois jamais à nous la faire avaler de force. Gondry créé
ainsi un univers magique rappelant à plusieurs égards
celui de l’enfance que ses deux personnages principaux, interprétés
de façon désarmante par Gael Garcia Bernal et Charlotte
Gainsbourg, conduisent avec une candeur extraordinaire. Pour sa part,
Alain Chabat s’avère tout simplement hilarant en personnage
vulgaire de service dont le je-m’en-foutisme assumé n’est
jamais de trop.
Dans un de ses rêves, une journaliste interviewe Stéphane,
alors un artiste dont le talent est reconnu mondialement, pour connaître
le secret de son succès. Ce dernier répondra qu’il
croit que les gens sympathisent avec son œuvre car elle vient du
cœur. Il s’agit assurément du passage expliquant le
mieux la réussite de Michel Gondry, autant pour le présent
effort que pour l’ensemble de sa carrière, alors que le
cinéaste aura toujours su stimuler avec intelligence et sincérité
autant le cœur que l’esprit. Nous pourrions évidemment
reprocher à La Science des rêves de ne pas avoir
la cohésion d’ensemble qui faisait d’Eternal
Sunshine of the Spotless Mind une œuvre à la fois délirante,
lucide et accessible. Néanmoins, c’est ce côté
irréfléchie et spontanée qui fait tout le charme
du quatrième film de cet éternel gamin. C’est sur
une fin ouverte des plus admirables que Gondry termine ce spectacle
extravagant dont même les quelques imperfections respirent la
grandeur d’un cinéaste qui, malgré qu’il ait
pu nous faire croire le contraire à quelque reprise, se trouve
toujours en pleine possession de ses moyens.
Version française : -
Scénario :
Michel Gondry
Distribution :
Gael Garcia Bernal, Charlotte Gainsbourg, Alain
Chabat, Miou-Miou
Durée :
105 minutes
Origine :
France
Publiée le :
3 Octobre 2006