THE SATANIC RITES OF DRACULA (1974)
Alan Gibson
Par Alexandre Fontaine Rousseau
Pour marquer l'arrivée des années 70, les légendaires
studios Hammer décidèrent de moderniser un brin leur plus
populaire franchise, la saga Dracula; le sixième film
de la série, Dracula A.D. 1972, propulsait ainsi le
plus célèbre des vampires de l'histoire (interprété,
comme c'est de rigueur chez Hammer, par Christopher Lee) et son éternel
rival le professeur Van Helsing (Peter Cushing) en plein coeur du vingtième
siècle pour un énième affrontement sanglant. Lee
n'était pas convaincu par la pertinence de l'aventure, la critique
de l'époque pressa de détruire le film et le public ne
répondit pas à l'appel comme l'avaient espéré
les dirigeants de la Hammer.
Refusant de se laisser démonter par l'insuccès commercial
et critique de cette première entreprise de rénovation,
les producteurs de la firme anglaise n'hésitèrent pas
malgré cet échec à capitaliser sur le potentiel
de l'idée: deux ans plus tard, la Hammer servait donc à
ses fidèles une suite à Dracula A.D. 1972 intitulée
The Satanic Rites of Dracula. Supérieur à l'épisode
précédent, malgré sa finition légèrement
moins léchée, le film place le comte Dracula à
la tête d'un conglomérat industriel et infuse les traditionnelles
préoccupations surnaturelles de la série d'une touche
d'espionnage alors très à la mode. Ainsi, les services
secrets anglais enquêtant sur les agissements suspects de quelques
notables - éminents savants, ministres et puissants chefs d'entreprises
- découvriront que ceux-ci participent en secret à des
rituels sataniques. Shocking, c'est le moins qu'on puisse dire...
Si Dracula A.D. 1972 jouait la carte du cool dans
l'espoir de toucher un jeune public friand de films d'exploitation tels
que The Trip, The Satanic Rites of Dracula mise pour
sa part sur les meilleurs ingrédients de la recette Hammer cette
fois servis en portions doubles. À la fin des années 50,
les premiers films d'horreur de la firme avaient injecté sexe
et sang au genre. Les enfants de cette révolution, pour la plupart
italiens, consacreront quant à eux les années 60 à
repousser les frontières du bon goût. Les premiers films
de Mario Bava, notamment Black Sunday, ont d'ailleurs des allures
d'hommage au travail de Terence Young pour la célèbre
maison de production britannique. Mais, cette fois, ce sont les Anglais
qui se doivent d'adapter leur cinéma fantastique aux nouveaux
standards établis par des gialli au sadisme de plus en plus inventif.
The Satanic Rites of Dracula exacerbe sans sombrer dans l'excès
les tendances gore qu'affichaient pour notre plus grand plaisir les
premiers Hammer, par ailleurs marqués du sceau d'une retenue
éminemment british.
D'une remarquable élégance malgré ses origines
de série B, le film d'Alan Gibson reprend somme toute les grandes
lignes de l'intrigue du Taste the Blood of Dracula de 1970:
quelques bourgeois blasés trouvent dans l'occulte un remède
à leur ennui existentiel, le satanisme devenant ainsi synonyme
d'un certain élitisme, pour finalement être trompés
par le maître des ténèbres lui-même. Sans
devenir porte-étendard de la lutte des classes, le cinéma
de genre se fait ici l'écho populiste de tensions sociales qui
culmineront en Angleterre dans les années suivantes. La menace,
après tout, est le fruit de la déchéance morale
des puissants et des magouilles d'une mystérieuse corporation
dont l'ambition suprême est en réalité l'apocalypse.
Car puisque The Satanic Rites of Dracula se veut l'ultime duel
entre Cushing et Lee, mythiques interprètes ici au sommet de
leur forme, le scénario double la mise en brandissant rien de
moins que le spectre de la peste.
Après avoir été relégué au second
plan dans Dracula A.D. 1972, le génial Van Helsing de
Cushing revient cette fois dans une forme resplendissante; ses traits
durs et son regard de glace dégagent une patiente détermination
n'entachant en rien cette classe victorienne qu'il a toujours su dégager.
Van Helsing n'est définitivement plus un vieillard inquiété
par les frasques débauchés de sa petite-fille hippie,
et cette gravité renouvelée avantage The Satanic Rites
of Dracula par rapport à son ludique prédécesseur.
Plus sérieux, le travail de modernisation de la série
s'étend ici aux enjeux narratifs du film; Dracula ne se contente
pas cette fois de hanter une vieille église de Londres, prisonnier
dans un contexte contemporain d'un décor ancien. Truffé
de références bibliques bien envoyées, le combat
final du film de Gibson gagne dans ce contexte une étonnante
résonance dramatique qui en fait, étonnamment, le meilleur
Dracula de la Hammer depuis l'excellent Horror of Dracula de
1958.
À première vue vaguement tendancieuse, cette habile fusion
du ton gothique de la formule Hammer classique à une intrigue
d'espionnage rudimentaire dépasse le statut de simple curiosité
rétro; il s'agit d'un divertissement de série B bien ficelé,
conscient des attentes de son public et tout à fait en mesure
de les satisfaire. Autrement moins kitsch que l'amusant Dracula
A.D. 1972, The Satanic Rites of Dracula clôt la
série sur une note franchement positive et permet au duo Cushing/Lee
de dire adieu à ses fans d'une manière honorable. Un tel
tandem, probablement le plus grand de l'histoire du cinéma d'horreur,
ne méritait pas moins...
Version française : -
Scénario :
Don Houghton
Distribution :
Christopher Lee, Peter Cushing, Michael Coles,
William Franklyn
Durée :
87 minutes
Origine :
Royaume-Uni
Publiée le :
8 Juin 2007