SAMURAI REBELLION (1967)
Masaki Kobayashi
Par Mathieu Li-Goyette
Déracinement politique. Aussi loin le lien peut-il se faire,
Samurai Rebellion de Masaki Kobayashi reste une des oeuvres
les plus accessibles de l’auteur par son sens des valeurs bien
défini et la légèreté de son discours (du
moins, c’est ce qu’il laisse paraître au premier venu).
Figure de proue de l’humanisme d’après-guerre japonais
avec Akira Kurosawa, Kobayashi prétendait rechercher un cinéma
en dehors de toute contrainte morale ou stylistique. De ce fait, les
studios eurent tôt fait de le marginaliser, ce qui mit un frein
très tôt à sa brillante carrière. Cinéaste
politique à sa façon, Kobayashi est peut-être le
premier à s’être réellement engagé
dans la relance du pays en y apportant, par ses films, un vent d’espoir
en réaction à l’ancien impérialisme et au
nouveau totalitarisme. Confiant que le « Nouveau » Japon
se devait de commencer en 1945, il fut convaincu tout au long de sa
carrière que le peuple se devait de se tenir debout, d’affronter
son gouvernement, aussi puissant soit-il, afin d’acquérir
sa propre liberté.
Sans user d’une réthorique à l’échelle
de ses préoccupations comme il l’avait si bien démontré
dans La Condition de l’homme (film le plus long de l’histoire
avec trois volets totalisant 9h30 de pellicule), Kobayashi passe au
microcosme dans sa trilogie de Jidaigeki (film d’époque
japonais se déroulant dans l’ère Edo). Débutant
par Harakiri, film le plus reconnu de l’auteur, le tryptique
se poursuit avec Samurai Rebellion, connu ici pour ses scènes
de combat beaucoup plus que pour sa frondeur face à l’autorité.
Se défendant en prétendant faire des films anti-samouraï,
il reste ironique que c’est le genre auquel les gens associent
le plus l’auteur japonais…
Samurai Rebellion suit donc l’histoire d’un de
ces guerriers approchant la retraite, Isaburo Sasahara (Toshiro Mifune),
qui voit son fils se faire offrir l’ex-femme du seigneur de son
royaume. Prenant bientôt les allures d’un mariage forcé,
Ichi, la nouvelle femme de Yogoro Sasahara se révèlera
être la mère bafouée de l’héritier
du royaume. Plus le temps passe et plus les deux mariés s’acclimateront
à leur relation de couple sous la surveillance matriarcale de
la femme d’Isaburo. Deux ans plus tard, Isaburo lègue le
fief à son fils qui vivra d’un amour passioné dont
la récompense sera une petite fille du nom de Tomi. Pendant ce
temps, le seigneur de guerre verra son premier fils décéder
d’une grippe et aura l’obligation de léguer le titre
d’héritier à son deuxième fils, celui qu’il
eut avec Ichi. Pour ne pas perdre la face, il demandera aux chefs des
clans de convaincre la famille Sasahara de leur rendre Ichi en échange
de ne pas être ruiné, ce qui ne plaira évidemment
pas à Isaburo et encore moins à son fils.
Ouf! Difficile de s’y retrouver à moins de ne connaître
plusieurs bases du système féodal de l’ère
Edo et ensuite de bien saisir les intentions des personnages, et surtout
celles du cinéaste lui-même.
Bien qu’éparpillée à travers quelques indices,
la symbolique entourant le seigneur de guerre (le gouvernement) et le
samouraï (le peuple) n’est plus à prouver. Fidèle
à lui même, Kobayashi est convaincu (et avec raison) que
l’homme ne peut survivre déontologiquement dans une société
aux valeurs arrêtées aux bénéfices du plus
fort, du plus influent. Du moins, l’homme ne peut y survivre qu’au
prix de sacrifices considérables annonçant sa future soumission
à l’état. Cinéaste activiste, c’est
ainsi que ses films (dont Samurai Rebellion) tentent de mettre
en perspective la relation de son héros avec le pouvoir et les
traditions du peuple. Refusant le seppuku, la soumission au seigneur,
l’obéissance aux chefs de clan, Isaburo incarne un idéal
d’éthique qui ne bronche devant aucune menace et où
le bon sens logique triomphe toujours sur la peur et la lâcheté.
Son propre code d’honneur respecté, il peut avoir la prétention
de prendre une bonne décision et d’aller jusqu’à
mourir pour respecter sa parole. Parole qui sera de protéger
son fils et sa femme au nom de leur amour et ensuite d’aller dénoncer
le coup monté au tribunal d’Edo (ancien nom de Tokyo).
Refusant de sombrer dans la satisfaction par la violence lors de la
scène finale, la catharsis de Kobayashi nous apparaît à
première vue comme inévitable, symbolique et donc sobre
par la même occasion. Contrairement à ce que pourraient
croire certains, on assiste ici à une épuration complète
du genre où la majeure partie du film se consacre à la
parole et non au katana. Déniant la méthode qui consiste
à faire languir son spectateur jusqu’à un bain de
sang plus ou moins justifié (Sergio Leone en exemple), le cinéaste
propose par le duel une prise de position non face aux valeurs, mais
plutôt face au dilemne même qu’il nous impose, à
savoir le devoir obligé ou la raison individuelle. Fatum du récit,
le drame vécu par les Sasahara ne sera jamais dévoilé
au grand jour, mais plutôt balayé du revers de la main
par les hautes instances, Kobayashi étant sûrement trop
honnête pour nous offrir la fin que nous voulions...
Moins riche en thématiques que ne peuvent l’être
les autres films de Kobayashi, Rébellion (son titre
français) représente le « pire » film de sa
filmographie parue par sa vision manichéenne, dénuée
de nuances, de la morale humaine. Contrairement à ses autres
oeuvres où l’idéal poursuivi est un accomplissement
éthique et philosophique à travers le combat contre ses
propres moeurs, Samurai Rebellion représente plus un
projet de commande où le cinéaste à su intégrer
avec brio ses thèmes qui lui sont tant fétiches à
travers les décisions du guerrier à la retraite. Ici,
dans son combat contre le système, ce n’est pas le système
qu’il affronte, mais bien ses sbires, des ennemis bien palpables
et par le fait même loin d’avoir la portée métaphysique
de La Condition de l’homme. Apportée par la composition
des plans, c’est aussi l’architecture et ses détails
qui viendront supporter le propos du monde strict, législatif
et conservateur contre lequel doivent se rebeller les samouraïs
et dans lequel la mère, le seigneur de guerre ainsi que la pression
de la famille s’avèreront des critères décisifs
quant aux choix des protagonistes.
Filmé dans un noir et blanc extrêmement contrasté
et usant à tour de bras de travellings lents, de zoom-ins rapides
et de plans statiques qui auraient fait rougir Yasujiro Ozu, le film
est un déluge d’alternance entre le calme plat des conversations
assises et le montage vif des scènes mouvementées. Fidèle
à l’esthétique contemplative japonaise, Kobayashi
se permet parfois des tours de force expressionistes par ses cadrages
obliques, ses arrêts sur image et ses déformations de la
réalité qu’il nous présente à travers
les éclairages ou le montage sonore (en lien direct avec les
pensées d’Isaburo et de son fils). Mifune, quant à
lui, tient un rôle solide qui n’est pas sans rappeler le
ronin qu’il intégrait avec tant de charme dans le Yojimbo
de Kurosawa, pendant que Tatsuya Nakadai, successeur populaire de Mifune,
incarne avec froideur le seul personnage nuancé du récit.
Sans être son meilleur film, Samurai Rebellion reste
un noble hommage à la lutte du peuple contre les gouvernements,
le système des lois, leurs aberrations, leurs motivations envers
la société qui, sous l’idéal de Kobayashi,
doit lutter jusqu’au prix de sa vie en l’honneur de ses
idéaux. À défaut de se faire révolutionnaires,
ils ne peuvent que se faire rebelles. Utopique par sa solution, Rébellion
porte à réflexion, mais surtout, nous amène à
reconsidérer la modernité de ce type de questionnement
et à déterminer jusqu’où l’être
humain pourra-t-il aller au nom de sa propre humanité.
Version française :
Rébellion
Version originale :
Jôi-uchi: Hairyô tsuma shimatsu
Scénario :
Shinobu Hashimoto, Yasuhiko Takiguchi (roman)
Distribution :
Toshirô Mifune, Yôko Tsukasa, Takeshi
Katô, Tatsuyoshi Ehara
Durée :
128 minutes
Origine :
Japon
Publiée le :
5 Mai 2008