SAMARITAN GIRL (2004)
Kim Ki-duk
Par Jean-François Vandeuren
La prostitution en Asie est un problème qui ne date pas d’hier
et qui est d’ailleurs un thème récurrent des films
de Kim Ki-duk, lequel en profite généralement pour questionner
du même coup l’image des femmes dans le cinéma contemporain
et dans la société en général. Il faut dire
que la sexualité a toujours été un élément
très présent au cœur du cinéma asiatique.
Mais comme pour la violence extrême de certains films de cette
région, elle n’est pas toujours présentée
avec le tact nécessaire. Les cinéastes la dépeignant
n’y confèrent bien souvent qu’un caractère
gratuit n’ayant rien à voir avec l’idée de
base de leur récit. Un piège de mauvais goût dans
lequel ne tombe fort heureusement pas le réalisateur sud-coréen
dans ce film plutôt difficile à cerner moralement de par
la façon tellement sereine qu’il aborde son sujet au départ,
nous donnant pourtant en final un résultat beaucoup plus dérangeant
que si le réalisateur avait opté pour un traitement plus
explicite.
Dans Samaritan Girl, deux jeunes adolescentes s’improvisent
un réseau de prostitution juvénile dans le but de s’acheter
deux billets d’avion et de partir pour l’Europe. Yeo-Jin
s’occupe de l’argent et des contacts. Jae-Yeong fait le
sale boulot. Mais cette dernière semble étrangement y
prendre plaisir et développe des affinités avec ses clients
qui vont beaucoup plus loin que la simple partie de jambes en l’air.
Suite à un événement hasardeux qui causera la mort
de Jae-Yeong, Yeo-Jin décidera de coucher à nouveau avec
chacun de leurs clients et de leur rendre leur argent par la suite.
Découvrant la vérité, le père de cette dernière
sera alors ébranlé de voir ce que sa fille fait de ses
journées et cherchera un moyen d’y mettre fin.
La controverse entourant Samaritan Girl ne s’explique
étonnamment pas par le sujet du film en soi, mais plutôt
par la manière dont il est traité par Kim Ki-duk. Ce dernier
joue ainsi d'une façon plutôt sournoise avec le ton qu’il
confère à l'effort. Non pas dans le but de rendre une
pratique aussi immorale moins difficile à digérer, mais
plutôt pour nous renvoyer au visage que par un traitement cinématographique
formé d’une série de plans somptueusement composés,
et en prenant le temps de conférer certains comportements attentionnées
à la clientèle des deux jeunes filles, nous pourrions
être nous-même tentés de la justifier. Et il est
là le coup de génie de Kim Ki-duk qui en vient à
démontrer toute l’influence que peut avoir inconsciemment
le cinéma sur l’esprit humain dépendamment de sa
forme. Le cinéaste aborde ainsi d’une manière assez
provocatrice la façon dont la société tend de plus
en plus à banaliser la sexualité, en particulier au sein
d’une jeunesse cherchant plus que jamais à sortir du monde
de l’enfance pour atteindre le statut d’adulte et ainsi
voler de ses propres ailes. Le problème est que cette jeunesse
ne possède pas la maturité nécessaire pour comprendre
les rudiments de ce que cela implique, au grand désespoir des
parents qui se retrouvent menottés par cette situation qui leur
échappe un peu plus chaque jour.
Kim Ki-duk nous livre également dans Samaritan Girl
l'une de ses réalisations les plus somptueuses, laquelle démontra
aux côtés de l’excellent 3-Iron que l'évolution
de sa technique n’avait toujours pas atteint son apogée.
Il s’agit aussi d’un des efforts où les deux versants
de son style entrent le mieux en symbiose, alors que ses habituelles
teintes d’onirisme permettent à la vigueur de son côté
réaliste de ne pas déraper. Les deux premières
parties du film nous renvoient à l’occasion au 400
Coups de François Truffaut, de par un portrait d’une
jeunesse confrontée beaucoup trop rapidement aux problèmes
du monde adulte, mais aussi par la touche de poésie visuelle
amenée par Kim Ki-duk. La séparation de l’histoire
en trois parties et les thématiques les plus importantes du récit
ne sont pas non plus sans rappeler la composition du brillant Noriko’s
Dinner Table de Shion Sono qui sortit l’année suivante.
Même s’il traite d’un sujet particulièrement
ambiguë, Samaritan Girl demeure malgré tout l’un
des films les plus accessibles de la filmographie de Kim Ki-duk grâce
à sa mise en scène volontairement simplifiée qui
fonctionne à merveille. Il faut dire que la force d’impact
de l’effort aurait sûrement été moins significative
s'il avait été tourné il y a cinq ans, car Samaritan
Girl dévoile également un Kim Ki-duk ayant visiblement
gagné en maturité dans la manière dont il aborde
désormais ses sujets les plus difficiles. Le cinéaste
sud-coréen tente une fois de plus de nous conscientiser à
une problématique sociale, mais il faudra comme d'habitude passer
par dessus les apparences afin d’en déceler le propos qui
est ici livré d’une façon aussi dérangeante
que nécessaire, empruntant pour ce faire le chemin de la sérénité
plutôt que celui de la dure et triste réalité. Dommage
que plusieurs trouveront malgré tout le moyen de s'offusquer
devant une telle initiative.
Version française : -
Version originale :
Samaria
Scénario :
Kim Ki-duk
Distribution :
Han Yeo-reum, Kwak Ji-min, Lee Eol, Kwon Hyun-Min
Durée :
95 minutes
Origine :
Corée du Sud
Publiée le :
13 Janvier 2006