RUSHMORE (1998)
Wes Anderson
Par Alexandre Fontaine Rousseau
Dans Rushmore, Wes Anderson campe une histoire vue des milliers
de fois, l'éternel triangle amoureux, dans le décor terriblement
cliché du merveilleux monde de l'école secondaire et arrive
pourtant à dégager de cet amas d'idées convenues
un film à la fois émouvant et original. Le secret d'Anderson
repose sur la façon dont il aborde les relations humaines, peignant
finement les émotions de ses personnages tout en demi-tons et
dressant ainsi des portraits d'une beauté phénoménale.
Cette approche sensible et subtile est la seule qui puisse rendre justice
aux iconoclastes tourmentés d'Anderson, une fabuleuse collection
d'excentriques amers incapables de communiquer les sentiments qui les
habitent et unis dans le meilleur comme dans le pire par cette maladresse
sociale maladive qu'ils partagent.
Max Fischer (Jason Schwartzman) est un étudiant médiocre
de la prestigieuse académie de Rushmore. S'il compte parmi les
pires élèves de l'institution, Fischer n'en demeure pas
moins l'un de ces éléments les plus actifs. Fondateur
et président de presque tous les clubs d'activités parascolaires
de son école, le jeune homme est ambitieux et passionné
à défaut de vraiment savoir ce qu'il veut. Lentement,
il se liera d'amitié avec Herman Blume (Bill Murray). Véritable
archétype du self-made man dont rêve l'Amérique,
ce riche magnat de l'industrie de l'acier est en plein coeur d'une crise
existentielle totale. Blume est l'incarnation même du rêve
américain. Il aura fallu qu'il atteigne le sommet pour comprendre
que les objectifs des autres n'étaient pas nécessairement
les siens. Tous deux tomberont amoureux de la charmante Rosemary Cross
(Olivia Williams), une enseignante de première année à
Rushmore toujours en deuil d'un mari mort depuis des années.
Vaguement fantaisiste et profondément humain, le cinéma
d'Anderson se veut le portrait doucement critique d'une société
où les désirs de l'individu sont façonnés
par une collectivité peu éclairée. Bien qu'exagérées
pour l'instant, les déclarations de plusieurs à l'effet
qu'Anderson serait «la voix de notre génération»
trouvent un écho de crédibilité potentielle dans
la pertinence remarquable de son propos ainsi que dans son traitement,
situé à mi-chemin entre le détachement ironique
et la naïveté romantique. À défaut de pouvoir
parler pour tous, le réalisateur américain a déjà
le mérite d'avoir une voix personnelle à faire entendre.
Fasciné par l'enfance et peuplé d'éternels adolescents,
le monde d'Anderson est le reflet d'une société qui arrive
difficilement à maturité. C'est aussi un cinéma
célébrant l'individu, ou lui laissant du moins une place
particulièrement importante. À la limite, on pourrait
affirmer qu'Anderson et son co-scénariste Owen Wilson dressent
des portraits d'abord et avant tout et racontent une histoire presque
par hasard.
Ces considérations intellectuelles n'empêchent pas Rushmore
d'être un film délicieusement divertissant au premier degré.
La compétition qui s'installe entre Blume et Fischer afin d'obtenir
l'amour de Cross donne lieu à une série de scènes
comiques parfaitement livrées. De plus, Anderson arrive à
soutirer des performances formidables de ses trois acteurs principaux,
probablement parce que ses personnages sont si finement ciselés.
Murray, en particulier, offre probablement la meilleure de sa carrière
dans ce rôle d'un homme usé et désabusé auquel
il confère une présence pathétique sans tomber
dans la facilité. Ce personnage triste est l'exemple type de
l'approche mélancolique et automnale d'Anderson, de son cinéma
parfumé d'une nostalgie vague et d'un humour rarement éclatant
mais toutefois hautement satisfaisant.
Alors que commence à se définir en filigrane l'approche
esthétique qui n'aboutirait véritablement qu'avec le conte
somptueux qu'est The Royal Tenenbaums et se poursuivrait dans
The Life Aquatic, le réalisateur offre ici son film
le plus riche au niveau du contenu, à défaut d'être
le plus remarquable de par sa forme. Rushmore demeure l'une
des comédies dramatiques les plus abouties des années
90 et annonce l'arrivée d'un réalisateur remarquable dans
le paysage américain. Si Bottle Rocket était
un coup d'envoi franchement sympathique, Rushmore est pour
sa part un film parfaitement accompli qui joue la carte de l'excentricité
sans cultiver celle-ci vainement. Fascinante rencontre entre le cinéma
d'auteur et le cinéma grand public, Rushmore mérite
pleinement l'attention dont il a été l'objet. À
voir et à revoir.
Version française :
Rushmore
Scénario :
Wes Anderson, Owen Wilson
Distribution :
Jason Schwartzman, Bill Murray, Olivia Williams,
Seymour Cassel
Durée :
93 minutes
Origine :
États-Unis
Publiée le :
25 Janvier 2005