ROMÉO ET JULIETTE (2006)
Yves Desgagnés
Par Nicolas Krief
En 1996, Baz Luhrmann réalisa un petit bijou en adaptant Roméo
et Juliette dans un monde moderne, mais dialogué en vieil
anglais; il en sortie un film d’une étonnante qualité
artistique. Yves Desgagnés, lui, n’est pas un réalisateur;
les films qu’il a fait ne sont donc pas des films, ce sont des
suites de scènes. Son premier film, Idole Instantanée,
était un très mauvais pastiche de la télé
réalité, avec une humoriste de second niveau pour actrice
principale. Son plus récent film, sa version de Roméo
et Juliette, est probablement la pire adaptation du chef-d’œuvre
de Shakespeare que l’humanité est connue. Ce qui est réellement
terrible là-dedans, c’est qu’Yves Desgagnés
est un metteur en scène de théâtre, qui a déjà
adapté du Shakespeare pour la scène et pour avoir vu sa
version de La Nuit des Rois, je peux vous assurer qu’il
sait faire mieux. Autant le film de Luhrmann était fin et intelligent,
autant celui de Desgagnés est vide, rempli de clichés
et ridicule.
Tout le monde connaît cette histoire, l’histoire d’un
amour interdit entre deux adolescents passionnés l’un par
l’autre. Cette fois, les problèmes se déroulent
à Montréal; le fils du chef des motards et la fille d’un
important juge incarne les enfants Montaigu et Capulet, qui ont été
remplacés par Lamontagne et Véronneau. Le père
de Roméo est en plein procès, et celui qui est chargé
de le juger est le père de Juliette, l’histoire d’amour
entre les deux adolescents est donc impossible. Lorsque le frère
de Juliette découvre son secret, il décide de détruire
leur relation, il finit par enlever la vie du meilleur ami de Roméo…
et on connaît tous la suite.
En regardant le film produit par Denise Robert, plusieurs questions
viennent à l’esprit : Pierre Curzi? Gilles Renaud? Jeanne
Moreau??? Pierre Curzi devait être très impatient d’entrer
dans le monde de la politique car son interprétation est totalement
bâclée. Les regards de colère et de tristesse qu’il
enchaîne se suivent et se ressemblent tous; sa relation père
fille avec Juliette (Charlotte Aubin) ressemble plus à un dialogue
entre deux mauvais acteurs de théâtre d’été
à Amos. Gilles Renaud, quantà lui, joue tout en douceur,
il semble savoir dans quel genre de bateau il s’est embarqué
et décide de jouer la carte du gars relax, le résultat
donne un personnage campé avec efficacité. Jamais on aurait
pu deviner que Jeanne Moreau avait tant besoin d’arrondir ses
fins de mois. Le personnage de la gentille grand-mère ne pouvait
être mieux joué, mais ce coup de marketing, probablement
pour lancer le film en France, n’a pas très bien fonctionné.
La présence d’une des plus grandes actrices françaises
est insuffisante à remonter le niveau de ce film et le laisse
au stade du médiocre.
Plusieurs metteurs en scène de théâtre ont su adapter
leur art pour le cinéma. David Mamet et Robert Lepage ont transformé
des pièces en film avec une grande aisance. Yves Desgagnés
a enlevé tout ce qui aurait pu être théâtrale
dans Roméo et Juliette pour y mettre du placement d’articles
à la mode : IPod, Mini Cooper, Loft, jeunes filles nues, etc.
Tout le film n’est qu’un prétexte pour montrer des
décors tendance, des jeunes acteurs habillés à
la mode, de la nudité inutile ainsi qu’une vision peu flatteuse
des homosexuels. Le meilleur ami de Roméo, un homosexuel convaincu
et incarnant tous les clichés imaginables est une triste et dégradante
caricature des membres de la communauté gay. C’est étonnant
de voir un artiste Québécois dépeindre un portrait
d’un tel mauvais goût d’une communauté à
laquelle nous sommes sensés être si ouverts.
Il est important de consacrer un paragraphe aux protagonistes de ce
film. Des auditions à la grandeur du Québec ont permis
de dénicher deux jeunes acteurs, Thomas Lalonde et Charlotte
Aubin, qui deviendront Roméo et Juliette. Oui, ils sont beaux,
et oui, ils sont «cutes» quand ils se «french»,
mais il y a autant de chimie entre le duo que de poursuites en voiture
dans Le Septième Sceau. Les deux «acteurs»
ont été, de toute évidence, choisis pour leur joli
minois, car aucun des deux ne semble réellement s’intéresser
à l’autre. Il faudrait des tonnes de garnotte pour remplir
le regard de Roméo lorsqu’il regarde sa douce, et un peu
de ritalin ne ferait pas de mal à Juliette. Cette dernière
semble à peine sortir de la pouponnière et le réalisateur
se permet de la montrer nue en proclamant haut et fort que l’amour
n’a pas d’âge, le tout donne une scène de nudité
de mauvais goût et même dérangeante. Et, finalement,
un jeune garçon de 17 ans, à Montréal, en 2006,
qui s’appelle Roméo Lamontagne? Allons donc.
Le deuxième long-métrage d’Yves Desgagnés
est donc un échec total. Des acteurs mal dirigés, une
réalisation fade et sans saveur ainsi qu’un sens du mauvais
goût bien aiguisé rendent ce film insupportable. Quand
on voit un film comme celui-ci, qui clôt une année assez
pauvre en cinéma de chez nous, on se demande si l’industrie
cinématographique québécoise se porte aussi bien
qu’on le croit; on peut alors questionner l’utilité
des enveloppes à la performance qui sont toutes envoyés
à l’adresse de Mme Robert. De toutes les œuvres grand
public de 2006 Roméo et Juliette remporte haut la main
la palme du navet de l’année.
Version française : -
Scénario :
Normand Chaurette
Distribution :
Thomas Lalonde, Charlotte Aubin, Jeanne Moreau,
Pierre Curzi
Durée :
105 minutes
Origine :
Québec
Publiée le :
19 Novembre 2007