ROGER TOUPIN, ÉPICIER VARIÉTÉ
(2003)
Benoît Pilon
Par Jean-François Vandeuren
Roger Toupin est un épicier dans la cinquantaine qui, au milieu
des années 70, reprit le commerce de son père qui accueillait
depuis la fin des années 30 les familles et autres habitants
du Plateau Mont-Royal. Mais comme la modernité ne fait souvent
aucun compromis, cet endroit mythique du quartier aux étalages
jadis bien remplis et à la clientèle fidèle et
abondante n’est plus ce qu’il était. N’offrant
désormais que quelques cannes de conserve et friandises pour
les derniers habitués et amis de longue date de Monsieur Toupin,
ce commerce fait désormais office de repère où
ces derniers se retrouvent la plupart des après-midis pour simplement
jaser et prendre un bon café. Roger Toupin survit donc comme
il peut, voyant néanmoins l’inévitable qui le séparera
de sa mère, de qui il prend soin depuis de nombreuses années,
de son commerce et de l’appartement au-dessus qu’il habite
depuis sa naissance, approcher à grands pas. Étant un
des habitués du commerce, le réalisateur Benoît
Pilon décida de nous en faire vivre les derniers moments qui
ne se produisent pas sans soulever de nombreuses remises en question.
Le réalisateur québécois nous fait donc rencontrer
divers individus des plus sympathiques et souvent loufoques, mais dont
la grande qualité se retrouve dans la manière dont ils
ont réussi à continuer de prendre la vie comme elle vient
tout en ayant toujours le cœur sur la main. Les moments les plus
démonstratifs de cette idée sont ceux où le film
fait part de la dévotion de Monsieur Toupin à l’égard
de sa mère maintenant âgée de 85 ans, laquelle a
pris depuis longtemps l’habitude d’aller se réfugier
dans ses pensées. Pour Toupin, il lui rend tout simplement la
monnaie de sa pièce. Elle les a élevés lui et ses
frères et sœurs plus jeunes, c’est maintenant à
leur tour de prendre soin d’elle et de la garder auprès
d’eux aussi longtemps que possible. L’effort de Pilon fait
également état d’un quartier qui, à l’image
de plusieurs autres à Montréal, était autrefois
peuplé de nombreuses familles de la classe ouvrière et
qui sont devenus aujourd’hui à certains endroits l’ilot
branché pour les gens de carrière et les étudiants
prêts à payer des loyers de prestige. Ce qu’il y
a d’intéressant par contre, c’est que Pilon propose
ce débat indirectement, préférant nous montrer
ce qu’il en est plutôt que de pointer qui que ce soit du
doigt. La même chose s’applique à la manière
dont il aborde notre préférence pour les commerces à
grandes surfaces plutôt que le contact humain et chaleureux des
petites entreprises familiales.
L’effort de Benoît Pilon fait aussi part d’une composition
esthétique sentie venant supporter avec précision la charge
émotionnelle se dégageant de son propos, tout en sachant
rester plus modeste le temps venu, ce qui constitue d’ailleurs
l’une des plus belles forces de son film. Par contre, on remarque
que son approche a parfois tendance à se répéter
autant au niveau de la trame sonore que de l’image où Pilon
recréé ses ambiances en reprenant également les
mêmes plans. Bien sûr, la qualité du travail proposé
est évidente, mais avant l’arrivée du générique,
on aura cessé de compter les fois où le même segment
de musique sera venu border la réalisation de Pilon, et où
ce dernier aura filmer Roger Toupin de profil en le plaçant à
l’extrême droite de l’écran. Sans être
réellement incommodant, il est certain que l’effort aurait
tout de même gagné à être un peu plus diversifié
sur ce point.
Roger Toupin, épicier variété nous offre
en définitive le portait intime et bouleversant d’un homme
qui n’a jamais mérité d’être affligé
de la sorte par les évènements et qui, malgré tout,
réussit à garder la tête haute et à rester
impartial en ce qui a trait à sa foi. Le film met d’ailleurs
en évidence cette attitude par le biais d’un questionnement
personnel assez bien entamé. À l’opposée
des lieux, le documentaire de Benoît Pilon témoigne d’un
humanisme qui semble avoir échapper au passage du temps et que
le réalisateur porte à l’écran d’une
façon remarquable. De sorte qu’on ne peut finalement que
se sentir assez mal lorsque ce que nous aurons vu venir tout au long
du film finit par se produire.
Version française : -
Scénario :
Benoît Pilon
Distribution :
Roger Toupin
Durée :
97 minutes
Origine :
Québec
Publiée le :
23 Juin 2005