THE ROCK (1996)
Michael Bay
Par Jean-François Vandeuren
Non contents de ne pas avoir à composer avec les horribles conditions
de travail des pays les plus défavorisés de la planète,
les travailleurs occidentaux (syndiqués) ont la chance de pouvoir
manifester leur mécontentement à leurs patrons lorsqu’ils
jugent être victimes d’injustice(s). Si les négociations
entre les deux partis n’aboutissent à rien, la grève
éclate et il peut être alors assez difficile pour les dirigeants
d’une société de ne pas céder sous le poids
des revendications de leurs employés, en particulier lorsque
c’est le bon peuple qui subit les conséquences de l’arrêt
de travail en question, qu’il soit justifié ou non. C’est
précisément cette stratégie qu’adoptera le
Général américain Francis X. Hummel (Ed Harris)
pour défendre les droits de ses camarades militaires dans ce
deuxième long-métrage du nouveau maître de la destruction
Michael Bay. Incapable de voir des soldats être envoyés
en mission secrète et mourir au combat pour leur patrie sans
que ces derniers ne reçoivent la moindre distinction ou qu’une
quelconque forme d’indemnité ne soit versée à
leur famille, le Général s’emparera de l’île
d’Alcatraz avec l’aide d’une quinzaine de marines
surentrainés et menacera de propager un gaz extrêmement
toxique dans la baie de San Francisco si ses supérieurs refusent
de l’écouter et de modifier leurs politiques. Suite à
une riposte armée qui aura horriblement mal tourné, il
n’en reviendra qu’à un rat de laboratoire (Nicolas
Cage) et un ancien agent secret britannique (Sean Connery, tiens donc)
ayant déjà réussi à s’évader
de la célèbre prison de jouer les briseurs de grève,
de sauver la veuve et l’orphelin, et d’étouffer toute
l’affaire.
Réputé pour sa vitesse d’exécution durant
les journées de tournage, Michael Bay récidivait à
peine un an après avoir fait son entrée dans la cour des
grands avec le spectaculaire The Rock. Et comme il semble s’en
être passées des choses au cours de ces quelques mois,
même si The Rock demeure en soi fortement tributaire
de ce que le cinéaste américain mit sur pied l’année
précédente avec ses deux mauvais garçons. D’une
part, le travail de Bay derrière la caméra est désormais
beaucoup plus constant. Appuyé par l’éblouissante
direction photo de John Schwartzman ainsi que par la trame sonore pompeuse
à souhait de Nick Glennie-Smith et Hans Zimmer, Bay orchestre
à nouveau des séquences d’action totalement gratuites,
mais aussi tout ce qu’il y a de plus enlevantes, avec un flair
et une ingéniosité technique que l’on explique difficilement.
Ce dernier aura particulièrement mis le paquet lors d’une
scène de poursuite tout à fait mémorable, et surtout
très destructrice, opposant le viril personnage interprété
par Sean Connery au volant d’un gigantesque Hummer à celui
d’un Nicolas Cage plus sournois devant apprendre sur le tas son
rôle de héros de film d’action en pourchassant son
rival aux commandes d’une luxueuse Ferrari. Mais c’est néanmoins
lors des scènes moins chargées visuellement que l’évolution
artistique du réalisateur américain se fait réellement
sentir. Ce dernier se montre d’une part beaucoup plus patient
que par le passé et semble également plus apte à
diriger des séquences un peu plus terre-à-terre sans que
l’ensemble ne perde soudainement de son lustre et de sa vigueur
sur le plan visuel.
Le réalisateur américain se présente également
à nous cette fois-ci comme un raconteur visuel hors pair alors
que son film pourrait être visionné en sourdine par le
premier venu sans que ce dernier ait la moindre difficulté à
suivre le développement de l’intrigue. Pourtant, il ne
se passe pas dix minutes dans The Rock sans que les grandes
lignes de l’histoire ne soient à nouveau résumées
d’une manière pas toujours très subtile. Une habitude
pour le moins irritante qui ne fait que confirmer au fond que Michael
Bay et les producteurs Don Simpson et Jerry Bruckheimer n’ont
tout simplement pas confiance en les facultés de leur public,
ce qui est tout de même assez étrange vu le genre de cinéma
sans cervelle auquel leurs noms sont généralement associés.
Malgré tout, The Rock demeure un produit mieux construit,
et surtout plus efficace, que son prédécesseur. Ce deuxième
long-métrage aura d’autant plus permis au cinéaste
de s’amuser enfin avec une panoplie de nouveaux jouets dont il
rêvait depuis longtemps grâce à l’immense générosité
de l’armée américaine. Pourtant, le portrait qu’effectue
Bay des forces militaires de son pays n’est pas nécessairement
très clément au départ. Un des soldats toujours
au poste se montrera même assez sympathique à la cause
du Général Hummel, avant de mourir dans un affrontement
armé particulièrement sanglant. Mais venant d’un
amateur de tout ce qui touche de près ou de loin au militarisme
aussi convaincu que Michael Bay, il devait forcément y avoir
anguille sous roche, non?
C’est du moins l’impression que nous avons lorsque se termine
finalement ce spectacle épuisant qui semblait vraiment vouloir
soulever quelques questionnements réellement pertinents. Michael
Bay aura su jouer un savant double-jeu en célébrant la
stature héroïque des soldats américains tout en pointant
du doigt certaines failles affectant le coeur même du système
militaire de nos voisins du Sud. Le cinéaste aura même
été jusqu’à remettre en question la valeur
d’une forme de patriotisme qui rend bien souvent aveugle et à
utiliser le haut symbole de justice que représente la prison
d’Alcatraz pour ajouter un peu de poids au discours de ses antagonistes.
Il est évidemment décevant de voir autant de bonnes intentions
être subitement balayées du revers de la main au profit
d’une finale on ne peut plus innocente au bout de laquelle rien
n’aura été réglé. Et c’est définitivement
ce manque de conviction qui empêche l’effort de se joindre
à une classe un peu plus stellaire du film d’action. Car
en soi, The Rock demeure le projet le plus accompli de Michael
Bay à ce jour et représente le point dans la carrière
du cinéaste où ce dernier aura été le plus
en contrôle de ses moyens. Cet éternel adolescent aura
également profité de l’occasion pour nous faire
part de sa passion démesurée pour le militarisme et les
explosions de toutes sortes en orchestrant un festival de démolition
aussi grandiose qu’immature.
Version française : Le Rocher
Scénario : David Weisberg, Douglas Cook, Mark Rosner
Distribution : Sean Connery, Nicolas Cage, Ed Harris, John Spencer
Durée : 136 minutes
Origine : États-Unis
Publiée le : 7 Janvier 2008
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