ROAD TO PERDITION (2002)
Sam Mendes
Par Jean-François Vandeuren
Suite au triomphe d’American Beauty autant auprès
de la critique que du public aux États-Unis, le réalisateur
Sam Mendes avait le vent dans les voiles pour devenir la prochaine coqueluche
des studios d’Hollywood. Plutôt que d’arpenter à
nouveau les mêmes chemins narratifs que ceux de son Fight
Club pour quadragénaires, le réalisateur s’attaqua
plutôt avec style à l’adaptation du « graphic
novel » de Max Allan Collins et Richard Piers Rayner. Qui plus
est, ce Road to Perdition est un film de gangsters extrêmement
maniéré se déroulant au début des années
30. On pourra évidemment accusé Mendes d’être
opportuniste étant donné la popularité de ce genre
de projets depuis le début du nouveau millénaire. Mais
même si Road to Perdition n’est pas un effort aussi
éclatant que son prédécesseur, il suggère
à nouveau l’étoffe d’un cinéaste qui
pourrait bien, avec les années, contribuer à redorer le
blason du cinéma américain dont l’âge d’or
est déjà plus de 30 ans derrière.
Michael Sullivan Jr. est un jeune garçon habitant une petite
ville américaine tout ce qu’il y a de plus ordinaire en
apparence. Il découvrira cependant un jour que son père
est l’homme de main d’un gangster local. S’étant
caché dans la voiture familiale, Michael verra ce dernier et
Connor Rooney, le fils du mafieux en question, tuer trois individus.
Craignant que Michael dévoile ce dont il a été
témoin, Connor tentera d’assassiner les quatre membres
de la famille Sullivan. Une initiative qui mènera à la
mort de la mère et du jeune frère de Michael. Suite à
cet événement tragique, il accompagnera son père
en exil. De son côté, ce dernier commencera à planifier
sa vengeance.
Malgré une toile de fond qui n’aurait pas pu être
plus différente, le film partage plusieurs thématiques
communes avec American Beauty, en particulier dans le portrait qu’il
effectue de la famille américaine. Dans Road to Perdition,
Sam Mendes s’intéresse à son fonctionnement de façon
plus globale à l’intérieur d’une société
et à une époque de changement et de crise comme celle
de la grande dépression. Cette esquisse devient d’ailleurs
assez étoffée par moment dans ses notions de fierté,
de loyauté et d’appartenance, ainsi que dans les liens
que le scénario tisse avec des cas de figure plus modernes et
les fondements peu reluisants de la culture américaine. Le cinéaste
s’affère du même coup à remettre en question
les motivations du héros de ce genre de récit dans le
cinéma américain. Le film débute en ce sens sur
une citation on ne peut plus claire où le jeune Michael Sullivan
mentionne qu’on lui demande souvent si son père était
un homme bon où s’il n’y avait pas de bien du tout
en lui. Mendes demande ainsi au spectateur de réfléchir
au spectacle qui défilera sous ses yeux et de questionner son
identification à ce type de personnages désireux de se
faire justice eux-mêmes. En plus de situer cette réflexion
dans un cadre religieux toujours très significatif (même
si peu respecté) au cœur des valeurs états-uniennes,
elle fait également écho à l’ère actuelle
où la population du pays est souvent exposée à
un tel esprit de vengeance.
Mais ce qui étonne réellement dès les premiers
instants du film, ce sont les nombreuses prouesses sur le plan technique.
D’une part, la recréation de l’époque dans
ses décors, ses costumes et ses atmosphères devient rapidement
enivrante. Sam Mendes n’y alla pas non plus de main morte au niveau
de la mise en scène. Ce dernier ne nous expose pas qu’à
un jolie portrait d’ensemble et nous y fait entrer avec énormément
d’assurance par le biais d’un style moderne que l’on
n’a pas l’habitude de voir accolé à ce genre
de scénario. Et comme nous nous retrouvons dans un univers cinématographique
basé sur celui d’une bande dessinée, les traits
des personnages dans Road to Perdition sont évidemment
tirés à gros traits, en particulier les défauts.
Un détail qui ne les empêche toutefois pas de posséder
une certaine profondeur. Tom Hanks s’amuse ainsi pour une des
rares fois de sa carrière à jouer les personnages impitoyables.
Mais de cette distribution fort élégante ressortent principalement
Jude Law, Daniel Craig et Dylan Baker, dont le caractère et la
gestuelle respectifs rappellent aussi ceux des personnages issus de
bandes dessinées et des serials américains des années
30 et 40.
Road to Perdition propose ainsi une esquisse rondement menée
des bases de la famille américaine et de ses obligations face
au monde extérieur et des conséquences pouvant en découler.
Si Mendes nous livre ce discours sans être trop insistant, celui-ci
est du même coup un peu éclipsé par la finesse du
film sur le plan technique, notamment par la grandiose direction photo
de Conrad L. Hall. La mise en scène de ce deuxième long-métrage
de Sam Mendes prouve malgré tout qu’Hollywood a encore
quelques bons coups en réserve parmi ses dépenses excessives
et souvent infructueuses. Sans être un incontournable, Road
to Perdition permit tout de même à Mendes d’ajouter
quelques cordes à son arc et de confondre les sceptiques qui
croyaient n’avoir affaire qu’à un feu de pailles.
Version française : La Voie de Perdition
Scénario : Davis Self, Max Allan Collins, Richard Piers
Rayner (graphic novel)
Distribution : Tyler Hoechlin, Rob Maxey, Liam Aiken, Jennifer
Jason Leigh
Durée : 117 minutes
Origine : États-Unis
Publiée le : 1er Avril 2006
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