LE RING (2007)
Anaïs Barbeau-Lavalette
Par Mathieu Li-Goyette
Le Ring est un film de combat. Le combat interminable d’âmes
d’anges dans des carcasses laissées pour mortes. De combat
moral, psychologique envers soi-même, mais principalement autour
des conditions de vie dans lesquels le jeune Jessy, amateur de lutte
et délinquant type, tente de faire son petit bout de chemin.
Le jeune homme, incroyablement incarné par Maxime Desjardins-Tremblay,
est en effet sans cesse confronter à une vérité
qu’aucun enfant n’accepterait; qu’il accepte peut-être
parce qu’il n’est lui-même plus un enfant, qu’il
ne veut plus l’être. Malgré cela, la vulnérabilité
poignante qu’on nous sert avec son personnage (si l’on oublie
qu’elle frôle parfois l’excès) dit tout le
contraire. Le petit mouille encore son lit, ne peut cuisiner ou même
faire le ménage. Il n’est qu’un figurant dans un
monde mature qu’il refuse de comprendre; trop engorgé dans
les combats de lutte du vendredi soir. Sa mère toxicomane sur
le coin d’une rue à vendre son corps, son frère
entré au pénitencier, son père alcoolique et invisible,
sa soeur qui se met sur le traces du frère aîné…
Quand sa plus grand révélation se retrouvera à
être la découverte que la lutte est un sport «fake»
où les lutteurs et le gérant se rencontrent à l’amiable
avant chaque combat, son jeune monde de 12 ans d’âge s’écroulera
sous la lourdeur de son environnement. Le grand drame du Ring
est celui du désenchantement, du combat quotidien dans cet univers
à part scruté à la loupe d’un regard jeune,
mais certainement compréhensif, qui est celui de la jeune relève
du cinéma québécois.
Produit chez l’INIS (Institut Technique de l’Image et du
Son) par Anaïs Barbeau-Lavalette, qui en est à son premier
long-métrage, ce dernier peut passer sur papier pour un film
étudiant à gros budget bien qu’il n’en contient
que quelque très rares indices à l’écran.
Filmé par le père de la cinéaste, Philippe Lavelette,
le regard-caméra qu’on nous sert est celui de l’approche
réaliste dans les grandes lignées du documentaire direct
québécois tout en allant chercher au passage l’influence
notable du jeu réaliste et parfois silencieux des Dardenne où
le silence se fait poignard dans le dos dans de longs plans séquences
où toute notion de mise en scène (autant chez le spectateur
que… dans l’œuvre elle-même) finit par s’effacer.
D’un fort premier battement de coeur, ses lacunes se dissimulent
dans cette photographie qui s’essouffle au rythme du quotidien
de Jessy qu’on devine de plus en plus dans cette lignée
des grand martyrs enfantins. Chez lui, on imagine encore le spectre
d’Aurore (du film de 1952), du père absent qui laisse sa
place au sage irresponsable remplaçant (Mon Oncle Antoine
et autres oubliés de l’autorité paternelle) et on
s’évertue à nous décrire avec minutie la
bulle sociale d’Hochelaga-Maisonneuve, Bronx québécois
plus politiquement correct que ceux de Montréal-Nord et du Sud-Ouest.
Tout ça question de stéréotype, non?
Mais ces petits détails, Le Ring les expose facilement
dans toute leur éloquence. S’inscrivant dans l’histoire
du cinéma québécois comme une rencontre fortuite
de notre tradition filmique, sociale et le courant réaliste en
vogue ces temps-ci avec une telle maîtrise, il ne faut plus s’étonner
de sa sélection à la dernière Berlinale et des
éloges lancées sur le vieux continent par M. Godard en
personne. « Marquant », « québécois
», « vent de renouveau », bien que ces mots semblent
se propager facilement, le film se défend bien de se faire écarter
de cette nouvelle vague que la baisse des coût de production ainsi
que la venue de nouvelles têtes d’affiches (Maxime Dumontier
encore une fois par-dessus l’excellence) qui permettent enfin
le tournage à des coûts dérisoires (Bluff
en était peut-être le meilleur exemple grâce aux
technologies numériques). Du côté de la plume, Renée
Beaulieu fait ses débuts d'une compréhension agréable
du parlé particulier des jeunes et des non-dits qui n'ont certainement
pas de dénominateur commun dans leurs veines mélodramatiques.
Formellement, le film est donc sans bavure, du niveau national tout
en étant porté sur les épaules d’acteurs
bien ancrés dans une réalité qui n’est que
trop peu étrangère pour l’ensemble des Montréalais;
les quartiers défavorisés formant la grande majorité
de la bordure du centre-ville. Et pourtant, on se dit fier de notre
« plateau », de notre ville souterraine et même de
la victoire de Montréal sur la nouvelle planche de Monopoly en
tant que nouveau « terrain » le plus lucratif.
D’une pensée qui se veut le rejeton cinématographique
de Ken Loach lorsqu’on en apprécie l’ensemble, le
jeu retenu, la progression sensible de cette ouverture au monde que
vit Jessy dans toute l’amertume qu’un enfant de 12 ans peut
bien nous retransmettre (par exemple lorsqu’il aperçoit
sa mère s’injecter une dose de stupéfiants) et les
revirement tragiques d’une fresque modeste et désespérée
portent ce combat acharné contre la bêtise de la société
québécoise qui ne s’est finalement que très
peu épanouie depuis la venue de l’enfant martyre du film
de 1952. On parle ici de regret , d’une culpabilité intouchable
qui habite le microcosme de l'oeuvre. On agit sans savoir pourquoi,
sans même se le demander, parce qu’on aime ça et
qu’on veut être respecté dans notre quartier tandis
qu’au fond, le respect n’est qu’un maigre substitut
à l’amour, chaînon manquant de cette condition. Collectivement
aussi fragile et charmante que cette jeunesse torturée d’Aurore,
ce petit enfant sévèrement désillusionné,
le Québec, n’a que faire d’une politique internationale
tout comme Jessy se fiche éperdument du monde nourricier qui
le surplombe tant que ce dernier n’oublie pas l’éternel
dernier-né. Laconique comme exposé, à la différence
cette fois-ci que Le Ring est un film sur l’ouverture,
le réveil et l’espoir d’une jeune vie sauvée
in extremis des ténèbres. C’est celle de l’aspirant
lutteur, mais aussi celle de son petit frère pour qui il demeure
aujourd’hui le dernier élément de repère
face à une histoire de famille incurable qu’ils devront
rapidement oublier. Maintenant que le cinéma s’est fait
prophète, il ne nous reste qu’à voir ses capacités
anthropologiques sur le terrain des défavorisés, ring
imprenable de milles luttes inconsolables à venir.
Version française : -
Scénario :
Renée Beaulieu
Distribution :
Maxime Desjardins-Tremblay, Maxime Dumontier, Suzanne
Lemoine
Durée :
87 minutes
Origine :
Québec
Publiée le :
17 Septembre 2008