RIGHT AT YOUR DOOR (2006)
Chris Gorak
Par Jean-François Vandeuren
Los Angeles. Un avant-midi comme les autres. Vous vous levez, vous prenez
une douche et vous vous faites à déjeuner. Votre femme
part pour le travail. Jusqu’ici, tout va bien. Mais quelques minutes
plus tard, la radio et la télévision vous apprennent que
le centre-ville vient tout juste d’être la cible d’attentats
terroristes. Comme si ce n’était pas suffisant, les armes
qui furent déployées un peu partout dans la métropole
seraient de nature chimique et une substance hautement toxique se propagerait
depuis partout dans la ville. La consigne est alors claire : enfermez-vous
à l’intérieur de votre maison et scellez en toutes
les issues du mieux que vous pouvez. Vous vous ruez donc à la
quincaillerie la plus proche pour vous munir de rubans adhésifs
et de toiles de plastique. Le temps file et vous devez empêcher
le poison de s’infiltrer à l’intérieur de
votre demeure. Mais vous êtes toujours sans nouvelle de votre
douce moitié. Après un long moment d’hésitation,
vous décidez finalement de vous barricader. Mais quelques heures
plus tard, votre femme, visiblement infectée, réapparaît
et vous demande de la laisser entrer. Vous obéissez? Ou vous
la laisser mourir à petit feu à l’extérieur
en attendant l’arrivée des secours? Voilà la situation
particulièrement délicate à laquelle est confronté
Brad (Rory Cochrane) dans ce percutant premier long-métrage de
l’Américain Chris Gorak.
Right At Your Door arrive évidemment à un moment
des plus opportuns alors que la soi-disant lutte contre le terrorisme
que livrent nos voisins du Sud depuis quelques années continue
de battre son plein et ne se terminera vraisemblablement pas de si tôt.
Le film de Chris Gorak s’inscrit d’ailleurs dans un courant
cinématographique déjà imposant, mais pas toujours
critique, tout en proposant une approche un peu plus introspective que
celles mises sur pied par ses prédécesseurs. L’idée
de créer un huis clos autour des principaux personnages du film,
qui sont eux-mêmes confinés à l’intérieur
d’un lieu particulièrement étroit, se veut évidemment
des plus pertinentes. Gorak porte du coup un regard beaucoup plus réaliste
sur les victimes de ce genre de tragédie ; les Monsieur et Madame
Tout-le-monde qui n’ont rien des héros types du cinéma
hollywoodien et qui doivent faire face à des événements
qui les dépassent complètement dans un contexte où
raison et sentiment ne vont définitivement plus de pair. Ainsi,
après un départ canon au cours duquel Gorak aura su résumer
en un éclair la prémisse de son film et plonger le spectateur
dans une forme de chaos pour le moins déstabilisante, le cinéaste
ralentira subitement le pas pour transformer son effort en une oeuvre
beaucoup plus lente et langoureuse. Mais malgré cette baisse
de régime particulièrement radicale, Gorak continuera
de capitaliser sur ces mêmes sentiments d’urgence et d’incertitude
dans une mise en situation où chaque seconde aura son importance,
même si le passage à l’action demeurera une option
difficilement envisageable pour ses protagonistes.
Ayant fait ses armes à titre de directeur artistique sur des
productions telles le The Man Who Wasn’t There des frères
Coen et le Fight Club de David Fincher, Chris Gorak a visiblement
retenu quelques leçons de ses collaborations avec certains des
cinéastes les plus influents des deux dernières décennies,
en particulier pour ce qui est de la création d’atmosphères
sombres et pesantes. Le cinéaste américain fait d’ailleurs
preuve d’une assurance et d’un professionnalisme des plus
étonnants pour un premier tour sur la chaise du réalisateur,
proposant une facture esthétique très moderne formée
d’une direction photo lugubre à souhait et d’une
avalanche de gros plans tous plus suffocants les uns que les autres.
Une approche qui se révélera des plus appropriées
en début de parcours alors que Gorak ne dirigera sa caméra,
et notre regard par la même occasion, que sur les éléments
composant l’environnement immédiat de Brad en emprisonnant
littéralement ce dernier à l’intérieur d’une
série de cadres extrêmement étroits. Le cinéaste
limitera ainsi le champ de vision du spectateur d’une manière
fort habile afin d’empêcher ce dernier de vivre la crise
en cours comme un simple spectacle et de le forcer à adopter
un point de vue beaucoup plus empathique face aux événements
de son film. Gorak n’aura alors aucune difficulté par la
suite à stabiliser de façon considérable une facture
visuelle jusque-là plutôt nerveuse pour imprégner
ses élans des sentiments d’attente, d’isolement et
de solitude avec lesquelles ses personnages seront appelés à
composer.
Right At Your Door effectue en somme un retour fracassant sur
les deux dernières grandes tragédies ayant secoué
la population états-unienne, soient les événements
du 11 Septembre 2001 et le passage de l’ouragan Katrina en Nouvelle-Orléans
en Août 2005. Le cinéaste américain recréé
ainsi avec fougue l’état d’abandon dans lequel fut
plongé ce peuple à bout de souffle et de ressources lors
de ces incidents et durant les longues journées d’attente
qui suivirent. Mais contrairement à plusieurs de ses contemporains,
Gorak ne cherche pas ici à célébrer la force extraordinaire
du caractère humain ou à émouvoir son public en
citant des événements encore trop frais dans la mémoire
de ce dernier. À l’opposée, Gorak lie volontairement
les mains de ses protagonistes en les confrontant à de nombreuses
prises de décision extrêmement ardues et pour lesquelles
ils pourraient être facilement critiqués. Une série
de dilemmes particulièrement épineux que Gorak traite
d’une manière heureusement très nuancée en
ne faisant jamais l’erreur de juger ses sujets. Ainsi, le traditionnel
« leave no man behind » que scandent si souvent
les Américains n’a finalement plus aucune résonance
à une époque où la population des États-Unis
aura été si souvent abandonnée par ses dirigeants.
Une réalité dont se servira d’ailleurs Gorak pour
souligner d’une manière particulièrement puissante
que ce qui finira par avoir raison de l’Amérique n’est
peut-être pas les innombrables « dangers extérieurs
» menaçant son mode de vie, mais plutôt le réflexe
de ses habitants de toujours se replier sur eux-mêmes face au
moindre signe d’adversité.
Version française : -
Scénario :
Chris Gorak
Distribution :
Rory Cochrane, Mary McCormack, Scotty Noyd Jr.,
Max Kasch
Durée :
96 minutes
Origine :
États-Unis
Publiée le :
12 Novembre 2007