A RIDER NAMED DEATH (2004)
Karen Shakhnazarov
Par Alexandre Fontaine Rousseau
La Russie semble passionnément amoureuse de sa propre culture,
de son histoire et de sa littérature. L'Arche russe,
le plus ambitieux, et selon plusieurs le plus important, des récents
projets cinématographiques du pays, n'était-il pas d'abord
et avant tout un long poème à la gloire de son histoire
nationale? Ce même amour transpire de chaque instant du Cavalier
de la mort de Karen Shakhnazarov, un film d'époque dont
le thème principal, le terrorisme, est pour sa part on ne peut
plus actuel. Si le film possède une personnalité franchement
typique de la littérature russe du début du siècle,
origines justement littéraires à l'appui, il se dégage
aussi du film de Shakhnazarov une certaine froideur, une distance qui
fait qu'au bout d'une heure quarante-six, le spectateur demeure perplexe
devant l'histoire, mais encore plus devant les personnages, qui lui
ont été présentés.
Il faut dire que Shakhnazarov lui-même n'ose pas vraiment plonger
au plus profond de la psyché de ses protagonistes, divers membres
d'une faction terroriste dont l'objectif est d'assassiner le grand-duc
Sergey Aleksandrovich. Chacun d'entre-eux a ses propres raisons de s'être
joint au mouvement révolutionnaire socialiste mais Georges, leur
chef, semble n'avoir aucune motivation quelle qu'elle soit. Pour lui,
tuer Aleksandrovich est une fin en soi. Il se complait dans la mort
et la terreur. Malheureusement, une fois oubliés ses plans-séquences
inspirés révélant de riches décors et de
somptueux costumes, Le Cavalier de la mort ne laisse qu'un
bien faible souvenir. Le film, comme tant d'autres oeuvres d'époque,
n'arrive jamais vraiment à échapper au piège du
livre d'histoire animé, de la carte postale du passé un
peu vide.
La chose est d'autant plus dommage que le film de Shakhnazarov avance
timidement dans plus d'une avenue intéressante, sans jamais s'engager
fermement dans l'une d'entre-elles. Le personnage de Vania hésite
d'abord pour des raisons religieuses à commettre un meurtre,
puis flanche à la dernière seconde lorsqu'il voit que
le grand-duc est accompagné de ses enfants lors d'une tentative
d'attentat. Pourtant, le réalisateur, qui est aussi scénariste,
s'intéresse plus aux tourments amoureux fort mal présentés
de Georges, dont le traitement laisse véritablement à
désirer. Ses relents d'absurde en font un personnage que n'aurait
pas renié Camus dans un meilleur film, mais Shakhnazarov ne réussit
jamais à traduire concrètement son malaise existentiel,
le manque profond de sens de son engagement à la cause. Peut-être
est-ce parce que le réalisateur semble un peu prisonnier de la
forme extrêmement littéraire de son oeuvre, du classicisme
sommes toute un peu stérile de son film.
Le Cavalier de la mort, au moins, a le mérite d'approcher
un thème d'actualité d'une perspective relativement ouverte.
Les intentions de Shakhnazarov restent malheureusement obscures, son
oeuvre un peu vague et l'ensemble trop éparpillée pour
véritablement satisfaire. Si le réalisateur semble passionné
par sa culture, il transmet difficilement son intérêt.
Pour un film parlant abondamment de terreur et de violence, Le Cavalier
de la mort est étonnamment froid et détaché.
Le réalisateur russe accouche donc d'un film d'un certain intérêt,
mais globalement décevant, une autre de ces productions historiques
un peu trop bourgeoise qui manque cruellement de nerf compte tenu de
leur sujet.
Version française :
Le Cavalier de la mort
Version originale :
Vsadnik po imeni smert'
Scénario :
Aleksandr Borodyansky, Boris Savinkov (roman)
Distribution :
Andrei Panin, Kseniya Rappoport, Artyom Semakin
Durée :
106 minutes
Origine :
Russie
Publiée le :
8 Octobre 2004