REQUIEM POUR UN VAMPIRE (1971)
Jean Rollin
Par Alexandre Fontaine Rousseau
Le cinéma de Jean Rollin habite un espace pour le moins inusité,
situé à la croisée des genres mais surtout des
« degrés » cinématographiques. À la
fois populaire et intellectuel, voire populiste et prétentieux,
Rollin demeure néanmoins l'un des rares stylistes distincts du
cinéma fantastique français; son oeuvre est une sorte
d'énigme, capable en égales mesures de convertir ou d'aliéner,
qui multiplie les fausses pistes pour mieux compliquer sa propre résolution.
À la fois bande dessinée et théâtre filmé,
comédie muette et cinéma d'horreur, Requiem pour un
vampire (ou Vierge et vampire) possède les ambitions
du cinéma moderne tout en cultivant les bassesses du vulgaire
film d'exploitation: Rollin canalise à la fois Godard et Ed Wood,
Bresson et Meyer. Pour cette raison, il est bien dur de poser un jugement
définitif sur le cycle des vampires qu'il a réalisé
entre la fin des années soixante et le début des années
soixante-dix. Tout au plus, certains se risqueront à affirmer
qu'il s'agit d'une étude volontaire ou non de la théâtralité
à l'écran - ce à quoi le fameux Frisson des
vampires de 1970 s'applique avec une surprenante assiduité
- ou encore d'un étrange rejeton de la Nouvelle Vague.
À la fois cinéaste et cinéphile, Rollin est un
formaliste qui ne se formalise de rien, de même qu'un metteur
en scène de série B employant l'amateurisme de ses productions
à son avantage. Étirant à n'en plus finir ses temps
morts, exacerbant le jeu maladroit de ses acteurs pour la plupart non-professionnels,
il crée à partir de ces dysfonctions cinématographiques,
efficaces à rebours, des atmosphères insolites et des
images surréalistes mêlant le vampirisme et l'érotisme.
Rat de cinémathèque, il filme avec l'objectif de Buñuel
Les vampires (1915) de Feuillade. Ses scénarios ne tiennent
- et c'est très relatif - qu'à un fil. Ici, deux jeunes
filles s'évadent d'une maison de redressement pour aller s'égarer
en campagne et, finalement, prennent refuge dans un vieux château
en ruines habité par une poignée de vampires déliquescents.
Ce qui sauve Rollin de la pure et simple médiocrité, c'est
d'abord cet humour qui traverse ses films, et qui rend par le fait même
impossible à définir le point exact où l'incompétence
devient satire.
Mais, au fond, il y a plus. À commencer par cet amour authentique
de l'épouvante gothique, palpable par exemple dans ce long travelling
que le réalisateur laisse lentement glisser d'un piano, auquel
semblent vouloir s'agripper quelques arbres sinistres, jusqu'à
un mausolée lointain qui baigne dans une lueur inquiétante.
Il y a chez Rollin une nostalgie du cinéma muet, plus explicite
que jamais dans ce Requiem pour un vampire dont la première
heure se distingue par la quasi absence de dialogues; même ses
personnages les plus bavards, les vampires bourgeois du Frisson,
intervenaient d'ailleurs presque comme des cartons dans la mise en scène.
En ce sens, la manière passive dont Marie (Marie-Pierre Castel)
et Michelle (Mireille Dargent) se trimballent dans le plan n'est pas
sans rappeler Buster Keaton; Rollin a jusqu'au culot de nous présenter
ses héroïnes déguisées en clowns, comme pour
annoncer par signes interposés le traitement loufoque qu'il s'apprête
à offrir de leurs péripéties.
Néanmoins, la quête de liberté de ses protagonistes
trouve chez Rollin bien tragique conclusion. L'évasion de nos
deux délinquantes les mène tout droit vers une autre prison,
couvrant sa véritable nature sous un voile d'affranchissement.
Symboliquement, le vampirisme arbore dans le cas présent une
connotation à la limite idéologique. Or, on pourrait spéculer
sur le fait que ce Requiem est une allégorie de la chute
des utopies. Les vampires de Rollin seraient-ils cette fois des hippies
sectaires sur le déclin? Dans cette optique hypothétique,
leurs orgies épuisées dans les décombres de leur
propre mythologie - châteaux, cimetières, caveaux - semblent
évoquer la fin de leur règne. Le titre lui-même
renvoie à l'éloge funèbre, à la fin d'une
ère dont parle explicitement un roi des vampires aux pouvoirs
chancelants. Nostalgie double pour Rollin, à la fois celle d'un
cinéma en voie d'extinction et d'une contre-culture en perte
de régime après l'explosion de mai 68.
Malgré ses promesses, Requiem pour un vampire semble
malheureusement incomplet - comme tout film de Rollin. Sa fin abrupte,
chaotique, est à l'image de la progression du film bancale. Mais,
surtout, c'est le recours de plus en plus récurrent à
la nudité comme artifice cinématographique qui vient parfois
gâcher la sauce. D'esthétique dans Le viol du vampire,
la nudité deviendra érotique dans Le frisson du vampire
puis quasi pornographique dans certaines scènes de ce Requiem
pour un vampire qui annonce par ses faiblesses le début
de la fin pour Rollin. En effet, le Français abandonnera progressivement
ses ambitions artistiques pour sombrer, à l'instar de bien des
cinéastes de genre au cours des années 80, dans l'exploitation
bon marché du sexe. Néanmoins, cet étrange film
fantastique demeure pertinent dans la filmographie de son auteur; le
style Rollin y semble encore justifié par un réel amour
de la mise en scène et, à défaut d'être particulièrement
raffiné, demeure indéniablement ludique.
Version française : -
Scénario :
Jean Rollin
Distribution :
Marie-Pierre Castel, Mireille Dargent, Philippe
Gasté, Louis Dhour
Durée :
95 minutes
Origine :
France
Publiée le :
20 Septembre 2007