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REQUIEM POUR UN BEAU SANS-COEUR (1992)
Robert Morin

Par Alexandre Fontaine Rousseau

En gros, on divisera l'oeuvre de Robert Morin en deux catégories de films bien distinctes entre lesquelles existe par ailleurs un dialogue constant. Ces deux Robert Morin, le vidéaste et le cinéaste, ne sont par ailleurs qu'un seul et même artiste s'épanouissant grâce à deux aventures bien différentes. D'une part, des docu-fictions crues, tournées en vidéo, nous permettent de saisir sa vision violente du monde sans souffrir le moindre compromis. D'autre part, quelques oeuvres plus classiques quoique tout aussi urgentes nous présentent un Morin mieux rasé tentant d'affiner sa charge générale contre l'univers en entier. Ce réalisateur a signé l'excellent Nèg ainsi que le récent Que Dieu bénisse l'Amérique. Dans Requiem pour un beau sans-coeur, le second intègre à ses méthodes quelques tics du premier. Il faut dire que chez Morin, rien n'est jamais coulé dans le béton.

Régis Savoie (Gildor Roy, franchement remarquable) est selon plusieurs l'ennemi public numéro un. Lorsque nous le rencontrons, il purge en prison une peine de vingt-cinq ans pour divers crimes. Tout ce qu'il faut comprendre, de prime abord, c'est qu'il s'agit d'un type peu recommandable. Grâce aux témoignages divergents de divers individus, Morin nous raconte ici les derniers jours d'un homme perdu, confus et enragé par tout. Requiem pour un beau sans-coeur est un film dur non pas parce qu'il multiplie les scènes choquantes - il n'y en a que quelques-unes, assez sordides merci - mais parce qu'il nous oblige à assister à un naufrage sans issue. Savoie entraîne dans sa chute tous ceux qui l'entourent. C'est un trou noir.

Requiem pour un beau sans-coeur est une tragédie totale. Fidèle à son habitude, Morin y fait feu dans toutes les directions et atteint la cible de temps en temps. Ici, la substance de son propos est parfois difficile à cibler. Il s'agit pourtant d'un étalage intéressant de toute l'industrie qui se bâtit autour du monde du crime. Comme le soulève de manière éloquente la narration en plusieurs étapes du film, il n'y a pas que les criminels qui profitent de ce gigantesque mécanisme. Un avocat sans scrupules, prétendument respectable, gagne son salaire en défendant un homme qu'il ne respecte pas. Un policier un peu maniaque donne un sens à sa vie en le traquant. Un journaliste vend toute l'histoire à grand renfort de gros-titres racoleurs. En fin de compte, ce sont des humains qui écopent.

Comme pour appuyer sa démonstration, Morin fait reposer son traitement de cette histoire sur la subjectivité de l'effet Rashomon. Les faits donc diffèrent en fonction du narrateur. Le problème, c'est que cette technique n'est pas exploitée à son plein potentiel. Peut-être parce qu'il se perd dans la densité de la toile qu'il tisse, Morin n'arrive pas toujours à justifier ou à expliquer de manière satisfaisante les impacts de ces nombreuses divergences qui paraissent parfois gratuites. La complexité de son scénario est intéressante. Mais celui-ci n'arbore jamais la limpidité époustouflante de son modèle. Le Nèg', à ce niveau, sera un pas remarqué dans la bonne direction.

À l'aide d'une caméra subjective insistante, Robert Morin force le spectateur à se glisser dans la peau d'un nombre imposant de personnages. C'est encore une fois à son public de faire la part des choses. En ce sens, Morin a le mérite d'interpeller l'intelligence du cinéphile. Son cinéma exige de la part du spectateur un effort de réflexion constant. Certains l'ont accusé d'humaniser des bandits avec Requiem pour un beau sans-coeur alors que l'erreur serait d'oublier qu'il s'agit avant tout d'êtres humains capables de commettre des actes inhumains. De toute façon, son film ne fait pas l'apologie de ses meurtriers. Il tente de les comprendre. Dans ce rôle d'avocat du diable, Morin a toujours su exceller.

En ce sens, Requiem pour un beau sans-coeur s'inscrit parfaitement au sein d'une oeuvre consacrée à l'inconfort et la perturbation de la routine. Tenace et troublant, cet essai imparfait mais percutant accule le spectateur dans un recoin sombre de l'activité humaine. Il lui exige de voir d'un oeil différent ce que son regard tente habituellement d'éviter. À l'aide d'une distribution d'un naturel désarmant, l'étonnant Gildor Roy en tête, notre provocateur national arrive une fois de plus à ses fins. Peu importe son moyen d'expression, Robert Morin sait faire preuve d'une efficacité redoutable.




Version française : -
Scénario : Robert Morin
Distribution : Gildor Roy, Jean-Guy Bouchard, Brigitte Paquette, Sabrina Boudot
Durée : 93 minutes
Origine : Québec

Publiée le : 10 Mars 2006