REQUIEM FOR A DREAM (2000)
Darren Aronofsky
Par Jean-François Vandeuren
Au festival de Sundance de 1998, l’étrange thriller mathématique
Pi annonça de grandes choses pour le lauréat
du meilleur réalisateur de l’évènement, Darren
Aronofsky. Le jeune cinéaste réussit alors à se
démarquer par un style visuel inventif et frénétique
et de par sa capacité étonnante à créer
un climat d’angoisse hypnotisant. Une approche qui semblait donc
des plus appropriées pour former une nouvelle incursion dans
le cercle fermé de la toxicomanie. Dans Requiem for a Dream,
Aronofsky nous introduit à un monde suscitant les émotions
et les fantaisies les plus vives tout comme les cauchemars les plus
horrifiants. Ne se limitant pas qu’à l’univers de
la drogue, il confronte également son public à la face
cachée de la dépendance quelle qu’elle soit où
sont nombreux ceux y aillant sombré pour des illusions provoquées
par un monde qui pourtant demeure plus souvent qu’autrement incapable
d’offrir ne serait-ce qu’un instant concret au coeur de
cet idéal tant convoité. Dans cette adaptation du roman
de l’écrivain new-yorkais Hubert Selby Jr., nous suivons
la quête de quatre personnages aspirant à plus que la monotonie
de leur quotidien, mais lesquels s’enfonceront progressivement
dans une profonde emprise toxicomane.
Comme les cinéastes Terry Gilliam (Fear and Loathing in Las
Vegas) et Danny Boyle (Trainspotting) avant lui, Darren
Aronofsky relève ici le défi assez imposant d’évoquer
adroitement et de façon crédible cet univers tourmenté
d’illusions, sans pour autant se munir de gants blancs au fil
du processus. La réussite de ce dernier se veut un essai fort
stylisé méritant les plus belles éloges. D’une
part, la recette visuelle du cinéaste vient servir dans un premier
temps l’ambiance tendue du récit évoquant à
maintes reprises les situations les plus cauchemardesques d’un
film d’horreur, suivant dans ce cas-ci ce monstre sournois dont
les traits laissés invisibles sont endossés par les différentes
formes et niveaux de dépendance développée par
les différents protagonistes. Atmosphère qui vient conférer
à Requiem for a Dream une apparence presque détraquée
d’autant plus appuyée par les sons sordidement magnifiques
des violons grinçants et mélancoliques venant former la
trame sonore. L’esthétisme minutieux de la composition
visuelle ahurissante d’Aronofsky est fort heureusement adéquatement
soutenu par un travail colossal de la part de l’équipe
de montage. L’effort suivant un rythme en deux tons, d’ailleurs
spectaculairement développés, mais combien frénétique
vu le nombre gigantesque de transitions formant le présent assemblage,
le plus incroyable est que d’un bout à l’autre, le
film suit cette ligne directrice propre à une descende aux enfer
avec une fluidité ahurissante, venant former une poésie
visuelle d’une beauté hallucinante tout en sachant le temps
venu plonger l’auditoire dans une tourmente quasi insupportable.
L’histoire d’une telle réussite se comprend autant
par ses élans techniques que par la force des interprètes
formant une distribution de premier ordre, comptant même en ses
rangs un Marlon Wayans étonnant qui fait part d’un talent
dramatique qui n’avait jusque là jamais vraiment été
mis en valeur par le cabotinage de sa filmographie habituelle. Jared
Leto et Jennifer Connely viennent fermer ce cercle de junkies avec un
talent évident déjà prouvé dans le passé.
Ce casting exceptionnel parvient d’autant plus à éviter
à tous les coups la navrante caricature trop souvent associable
aux productions dépeignant ce genre de thématique, ce
qui est à la base plutôt phénoménal. Mais
la grande vedette de cet ensemble d’acteurs au sommet de leur
art est certes Ellen Burstyn, qui rejeta pourtant le rôle au départ,
perturbée par cette histoire déjà horrifiante sur
papier. Fort heureusement, celle-ci changea d’avis et offre ici
une performance désarmante qui devrait même passer à
l’histoire vu la perfection évidente à tous les
niveaux de son jeu, malheureusement boudé au profit du star système
à la cérémonie des Oscars.
De par ce film valsant aux abords de la désillusion la plus totale,
Aronofsky parvient à nous offrir un tour de force dur, provocateur
et on ne peut plus bouleversant, nous laissant sur un dernier tier dont
la brutalité n’a d’égal que son génie.
Une œuvre aussi nécessaire à un auditoire que l’on
cherche que très rarement à mettre à l’envers
de la sorte, que d’un point de vue purement cinématographique
où Requiem for a Dream semble destiné à
s’imposer comme une œuvre phare d’une importance capitale
au cinéma des années 2000 et qui saura probablement du
même coup réveiller les ardeurs du cinéma indépendant.
Un voyage aussi déprimant que sublime.
Version française :
Retour à Brooklyn
Scénario :
Darren Aronofsky, Hubert Selby Jr. (roman)
Distribution :
Ellen Burstyn, Jared Leto, Jennifer Connelly, Marlon
Wayans
Durée :
102 minutes
Origine :
États-Unis
Publiée le :
5 Août 2003