REPO! THE GENETIC OPERA (2008)
Darren Lynn Bousman
Par Alexandre Fontaine Rousseau
Autrefois, les films cultes naissaient de leur propre gré. L'expression,
initialement, impliquait qu'un groupe réduit mais fervent de
cinéphiles s'était approprié une oeuvre excentrique
- en apparence mineure - pour l'élever à ce statut. Comme
tout mouvement de masse, ce concept a été avec le temps
institutionnalisé si bien que, de nos jours, les film naîtraient
« cultes »; du moins, un certain nombre de films sont réalisés
avec cet objectif en tête. L'accident de parcours a été
rationalisé, perdant dans le processus de sa véracité
originelle. Les producteurs se sont appropriés ce qui appartenait
par le passé au public. Mais, par définition, l'anomalie
est impossible à contrôler. Annoncé comme une sorte
de Rocky Horror Picture Show pour le nouveau millénaire,
Repo! The Genetic Opera est de cette race de films qui cherche
par une série de calculs stériles à séduire
un public ciblé. Sa démesure n'est pas le fruit d'une
illumination créatrice spontanée, ou encore d'une heureuse
maladresse donnant lieu au fil des aberrations à une oeuvre hors-du-commun.
Au contraire, la « comédie musicale d'horreur futuriste
» de Darren Lynn Bousman exploite malgré son iconoclasme
apparent un filon très spécifique et sent l'étude
de marché à plein nez; le mercenaire hollywoodien, après
s'être rempli les poches en signant les trois suites de Saw,
vise cette fois la tranche démographique des amateurs de Tim
Burton et accouche d'un Xanadu pour la génération
Sin City.
Pourtant, les dix premières minutes de Repo! sont tout
bonnement époustouflantes et promettent une expérience
cinématographique complètement délirante. Par une
série de vignettes arrachées aux pages du comic book de
nos rêves, le film présente un univers apocalyptique à
souhait où une épidémie a créé une
folle demande pour les organes synthétiques produits par la multinationale
Geneco. L'entreprise, pleine de compassion, propose aux malades moins
nantis un plan de paiement différé qui leur permet de
survivre à crédit; mais si par malheur les fonds viennent
à manquer, la sympathique Geneco envoie aux trousses de ses clients
un boucher-chirurgien qui «récupère» sans
anesthésie sa propriété. Ce véritable cauchemar
pharmaceutique, le film le présente d'abord avec un mélange
rocambolesque de sadisme invétéré et de lyrisme
baroque et, pour un instant, ce Genetic Opera semble prêt
à remplir sa mission: servir violence et subversion sous la forme
d'un spectacle coloré, appuyé par des chansons rock à
saveur industrielle. Mais progressivement, le traitement tapageur épuise.
Dépourvu de pauses, le film se transforme au fur et à
mesure qu'il s'étire en un long vidéoclip d'A.F.I. repus
des clichés de rébellion adolescente propres à
la culture emo dont il s'avère une excroissance particulièrement
grotesque.
L'univers de Repo!, croisement assez libre d'influences gothiques
et cyber-punk, s'avère riche en potentiel esthétique et
thématique - et la mise en situation s'assure d'en dresser un
portrait complet en peu de temps. Dans cet avenir infernal, somme toute
ingénieusement satirique, l'entreprise privée a le pouvoir
de vie ou de mort sur le peuple et la chirurgie esthétique même
vulgaire et dégénérée sert à établir
la hiérarchie sociale; derrière cette structure décadente
se cache surtout un retour à l'ordre monarchique, les disputes
familiales au sein d'un empire industriel ayant des répercussions
directes sur l'environnement politique. Cette hypothèse de lecture
aurait pu être d'autant plus intéressant que la forme de
Repo! renvoie à celle des pièces de Shakespeare,
et ses enjeux dramatiques aux luttes intestinales parmi les classes
dominantes qui y étaient mises en scène. Malheureusement,
le scénario de Darren Smith et Terrance Zdunich écarte
rapidement ces préoccupations pour se concentrer sur les états
d'âme de la jeune Shilo (Alexa Vega) et sur un mélodrame
assez mal mené opposant le père de celle-ci (Anthony Head)
au président-directeur général de Geneco, Rotti
Largo (Paul Sorvino). La trame narrative s'éparpille entre une
multitude de flash-backs, des péripéties à la pertinence
discutable et des intrigues secondaires souvent insondables concernant
une pléthore de personnages sous-développés. Une
fois le tout compacté en une centaine de minutes de chansons,
le récit n'est plus qu'un amas chaotique d'idées inachevées
et de pistes abandonnées.
La réalisation de Darren Lynn Bousman, par sa trop forte dépendance
aux effets tape-à-l'oeil, participe bien évidemment à
la confusion générale. Trop rapidement et trop fréquemment,
elle abandonne la cohérence cinématographique au profit
d'une mise en scène purement spectaculaire n'ayant d'autre logique
que celle de l'impact immédiat. Chaque plan frappe trop fort,
au rythme d'un montage frénétique, et le buzz initial
se transforme vite en indigestion audiovisuelle carabinée. Dans
ce tourbillon d'images gavées aux néons, le climat glauque
et angoissant des premières séquences vire vite à
la débauche sensorielle; l'horreur cède le pas à
l'opéra pompeux et l'humour cynique à la boursouflure
sentimentale. Prometteur lorsqu'il donnait dans la science-fiction sombre,
Repo! lui préfère à notre grand dam la
voie du rococo post-moderne. À sa défense, Darren Lynn
Bousman accouche avec son Genetic Opera d'une oeuvre assez
unique dans le paysage cinématographique actuel - « courageuse
», diront certains sans trop peser leurs mots. Mais son film semble
au bout du compte symptomatique de son époque, comme s'il en
constituait l'hypertrophie criarde et insensée: un bombardement
continu de vidéoclips bruyants où Paris Hilton se joue
elle-même en héritière dépravée d'une
fortune familiale inestimable, et où Alexa Vega incarne toutes
les adolescentes à la fois sans jamais en cerner une seule correctement.
Repo! The Genetic Opera réduit le film-culte au rang
de marchandise, de produit de consommation rapide; quelqu'un l'a créé
pour vous, et il ne vous reste plus qu'à y adhérer. Tant
pis pour l'arrière-goût artificiel...
Version française : -
Scénario :
Darren Smith, Terrance Zdunich
Distribution :
Paul Sorvino, Paris Hilton, Alexa Vega, Anthony
Head
Durée :
98 minutes
Origine :
États-Unis
Publiée le :
28 Juillet 2008