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RENDITION (2007)
Gavin Hood

Par Louis Filiatrault

À plusieurs égards, le sort bienheureux du réalisateur Sud-Africain Gavin Hood rappelle celui du Brésilien Fernando Meirelles: après un long-métrage remarqué hors de son pays d'origine, chacun fut invité à (ou pris l'initiative de?) monter un projet de plus grande envergure sur des fonds occidentaux. Projets, de natures fort similaires par ailleurs, dont ils sortirent tous deux la tête haute: en 2005, Meirelles nous offrait le superbe Constant Gardener, thriller politique dont l'efficacité n'égalait que la forte substance, et voici que Hood fait part de préoccupations sociales comparables avec cet admirable Rendition, s'inscrivant sans trop ambitionner dans le sillon de film choral tracé par le divisif Crash de Paul Haggis et approfondi par le Babel d'Inarritu. Le résultat, sans réinventer la roue, est un film d'une grande pertinence et d'un équilibre remarquable, contournant habilement les impressions de sensationnalisme qu'ont pu laissées présager les bandes publicitaires.

L'objectif premier de Rendition est de passer par la fiction pour sensibiliser un public large à la réalité de la mesure de « reddition extraordinaire » pratiquée par le gouvernement américain depuis Clinton. Constituant un outil de « sécurité nationale », cette procédure consiste à permettre l'enlèvement non sollicité d'un citoyen quelconque et de le soumettre librement à un « interrogatoire ». La détention s'effectuant à l'extérieur du pays, la traditionnelle formule: « aux États-Unis, il n'y a pas de torture », n'a pas lieu d'être suivie. Les créateurs imaginent donc une attaque terroriste survenant dans un pays d'Afrique du Nord (demeurant, avec tact, sans nom), suivi du kidnapping tout aussi hypothétique d'un Américain d'origine égyptienne revenant d'un voyage d'affaires. La suite des choses nous présente, entre autres tribulations, le déroulement de la séquestration d'Anwar El-Ibrahimi, les réticences de l'agent chargé de sa supervision, les tentatives de la femme du captif d'obtenir de ses nouvelles, ainsi que l'errance d'un jeune couple se frottant à un groupe d'extrémistes religieux. Un tableau chargé, morcelé, qui se garde néanmoins de trop insister sur un «message» et se contente d'illustrer avec lucidité les conséquences de cette pratique, débouchant sur une observation dont le résumé sommaire irait ainsi: « la torture encourage le terrorisme ».

Avec son précédent Tsotsi - récipiendaire de l'Oscar du meilleur film étranger en 2006 - Hood se présentait comme un artisan de la patience et de la ligne claire, ce qui était tout à son honneur. Et s'il ne semble toujours pas vouloir afficher une signature aussi personnelle que les cinéastes mentionnés plus haut (Haggis excepté), il parvient encore une fois à faire travailler cette sobriété à son avantage: léchant ses plans et s'effaçant derrière sa distribution prestigieuse (et très talentueuse), il prend tout son temps pour articuler soigneusement les détails touffus de son intrigue internationale. À cet égard, la scénariste Kelley Sane se révèle peut-être comme la plus belle révélation du film: sa répartition harmonieuse des enjeux émotifs et politiques, ainsi que son typage de personnages rendus crédibles par leurs caractères résolument non extraordinaires, la présentent comme une digne contemporaine de Guillermo Arriaga (scénariste d'Inarritu), partageant l'humanisme du Mexicain sans en compromettre la part laissée au hasard, à la triste fatalité des choses (une audace particulière dans la construction du récit, qui réserve une ultime et déroutante surprise au spectateur, en fait foi). Par sa mise en scène, Gavin Hood dirige ses acteurs dans un ton plutôt convenu et ne parvient pas forcément à injecter plus d'intérêt à des passages centraux un peu traînants, mais son respect des langues d'origine, ainsi que son refus systématique d'« embellir la laideur », s'avèrent des choix très respectables, voire carrément rafraîchissants dans le contexte d'un cinéma américain qui les applique rarement.

En bout de ligne, la réussite générale de Rendition repose largement sur la solidité de sa posture critique. Contrairement à ce qu'une lecture rapide du synopsis pourrait laisser croire, il préfère emprunter la voie de la démonstration sobre plutôt que celle de l'indignation puérile, démontant le mécanisme d'une mesure condamnable dans un certain geste documentaire n'étant pas sans rappeler le brillant Road to Guantanamo que tournait Michael Winterbottom il y a quelque temps. Dans cet univers dépourvu de «méchants» traditionnels, le mal se tapit à même les principes des institutions en cause, et la rédemption passe par la prise de conscience et l'action conséquente. Tout concorde ainsi à laisser l'impression d'un film conçu par des artisans aussi sensibles que responsables, s'étant dévoués à l'attaque d'une cible bien précise et ayant intelligemment contourné les obstacles à l'argumentation, sans pour autant nier l'importance des émotions dans la « grande communion humaine ». Le seul reproche sérieux qu'on lui reprochera est peut-être d'avoir adouci considérablement la forme des oeuvres mentionnées plus haut en un format mieux digestible et moins personnel, soustrayant au passage une bonne part de cette matière brute qui est le propre des oeuvres marquantes. Mais devant tant de qualités honorables, il serait absurde de lever le nez. Son devoir civil accompli, Gavin Hood peut bien se consacrer en paix aux aventures de Wolverine...




Version française : Détention secrète
Scénario : Kelley Sane
Distribution : Reese Witherspoon, Jake Gyllenhaal, Omar Metwally, Meryl Streep
Durée : 122 minutes
Origine : États-Unis, Afrique du Sud

Publiée le : 5 Mars 2008