A B C D E F G H I
J K L M N O P Q R
S T U V W X Y Z #
Liste complète



10 - Chef-d'oeuvre
09 - Remarquable
08 - Excellent
07 - Très bien
06 - Bon
05 - Moyen
04 - Faible
03 - Minable
02 - Intolérable
01 - Délicieusement mauvais



Cotes
Décennies
Réalisateurs
Le Cinéma québécois
La Collection Criterion



2005
2006
2007
2008
2009

REMEMBERING ARTHUR (2006)
Martin Lavut

Par Alexandre Fontaine Rousseau

Pour plusieurs, Remembering Arthur sera l'occasion non pas de renouer avec mais bien de découvrir le méconnu réalisateur d'avant-garde montréalais Arthur Lipsett. Pour ceux qui ont côtoyé l'homme, par contre, il s'agit d'une occasion à la fois dure et privilégiée de revenir sur le passage de ce personnage ayant marqué tant leurs vies que le cinéma expérimental canadien des années 60. À première vue, le geste pourrait sembler peu pertinent. Tandis qu'au même moment Rechercher Victor Pellerin de la jeune Sophie Deraspe affirme que l'art est un canular en se moquant des conventions propres aux documentaire qui sont consacrés à ses figures tragiques, Remembering Arthur évite la provocation et propose au contraire une oeuvre à la facture aussi classique qu'élégante.

Par définition, un bon documentaire sur l'art donne à son auditoire le goût de créer. C'est exactement ce qu'accomplit l'admirable film de Martin Lavut; il restitue à cet acte et à l'artiste qui le commet sa pertinence viscérale dans le contexte d'une société troublée. Qui plus est, son film célèbre la carrière d'un cinéaste aussi incroyablement influent qu'il semble avoir été oublié par l'histoire du septième art. Alors que la cinémathèque québécoise propose à l'occasion de la 35e édition du Festival du nouveau cinéma une rétrospective complète de l'oeuvre de Norman McLaren, Remembering Arthur tente de rendre justice à un contemporain de celui-ci dont l'importance n'est pas encore reconnue à sa juste valeur. On pourrait en ce sens le comparer à Ryan Larkin, autre étoile filante de l'époque qui ajoute d'ailleurs sa voix à ce concert d'éloges.

Admiré tant par George Lucas que par Stanley Kubrick, Arthur Lipsett ce sera affairé durant les années 60 à exprimer de manière atypique et poétique l'aliénation d'une génération. Étrange réflexion sur le monde de l'audiovisuel, son oeuvre se limitant à quelques courts-métrages seulement provoque et innove par son exploitation originale du son et par sa vision violente et innovatrice du montage. Suite au succès de son film Very Nice, Very Nice en 1961, sorte de collage-recyclage des retailles de bandes sons d'autres productions de l'ONF, Lipsett deviendra l'uns des rares « artistes » à être acceptés par l'institution sous le règne de John Grierson. Malheureusement, son comportement erratique et des problèmes d'ordre personnel le pousseront à abandonner le cinéma au début des années 70. Sa vie prendra alors une tournure plus dramatique. Il se suicide en 1986. Il a alors cinquante ans.

Allant au-delà du personnage, Remembering Arthur se penche sur les impacts de la dégradation d'un être sur ses proches. Ami de la plupart des individus interviewés, Martin Lavut a obtenu de ceux-ci des témoignages très intimes qui ne peuvent émerger que dans un climat de confiance authentique; s'ils se livrent à la caméra, Lavut traite en retour ces confidences avec le plus grand des respects. Se libérant des contraintes de la voix off, le réalisateur propose un montage sensible et intelligent où les propos glanés ici et là se répondent et s'unissent pour former un seul discours fort bien articulé. Cette forme conventionnelle et épurée de documentaire se distingue aujourd'hui par sa transparence et sa clarté: pourquoi réinventer le monde s'il fait notre affaire? Remembering Arthur propose ainsi un portrait touchant de la période durant laquelle la détérioration de son état de santé mentale a éloigné Lipsett de la création et des gens qu'il aimait.

Néanmoins, la plus admirable des qualités du film de Lavut est de souligner l'apport incroyable de Lipsett au monde du cinéma expérimental canadien. Oubliée des livres d'histoire, son oeuvre d'un avant-gardisme étonnant annonce les formes d'art de l'avenir et les préoccupations socio-politiques de notre époque. D'une lucidité étrange et éclatée, ces collages frénétiques expriment dans le langage du subconscient les craintes de tous selon la perspective d'un individu. Remembering Arthur redore le blason de l'artiste au sens large du terme, l'investissant à nouveau du rôle crucial de conscience de la collectivité. S'il traite d'un personnage tragique, ce film s'impose d'abord en tant qu'hommage affectueux à l'homme de même qu'à titre de célébration révélatrice de l'artiste. Le cinéma y renoue ainsi avec son devoir de mémoire, se faisant gardien de sa propre histoire.




Version française : -
Scénario : Martin Lavut
Distribution : Fortner Anderson, Marian Arnold, Donald Brittain, Martin Duckworth
Durée : 90 minutes
Origine : Canada

Publiée le : 30 Octobre 2006