REMEMBERING ARTHUR (2006)
Martin Lavut
Par Alexandre Fontaine Rousseau
Pour plusieurs, Remembering Arthur sera l'occasion non pas
de renouer avec mais bien de découvrir le méconnu réalisateur
d'avant-garde montréalais Arthur Lipsett. Pour ceux qui ont côtoyé
l'homme, par contre, il s'agit d'une occasion à la fois dure
et privilégiée de revenir sur le passage de ce personnage
ayant marqué tant leurs vies que le cinéma expérimental
canadien des années 60. À première vue, le geste
pourrait sembler peu pertinent. Tandis qu'au même moment Rechercher
Victor Pellerin de la jeune Sophie Deraspe affirme que l'art est
un canular en se moquant des conventions propres aux documentaire qui
sont consacrés à ses figures tragiques, Remembering
Arthur évite la provocation et propose au contraire une
oeuvre à la facture aussi classique qu'élégante.
Par définition, un bon documentaire sur l'art donne à
son auditoire le goût de créer. C'est exactement ce qu'accomplit
l'admirable film de Martin Lavut; il restitue à cet acte et à
l'artiste qui le commet sa pertinence viscérale dans le contexte
d'une société troublée. Qui plus est, son film
célèbre la carrière d'un cinéaste aussi
incroyablement influent qu'il semble avoir été oublié
par l'histoire du septième art. Alors que la cinémathèque
québécoise propose à l'occasion de la 35e édition
du Festival du nouveau cinéma une rétrospective complète
de l'oeuvre de Norman McLaren, Remembering Arthur tente de
rendre justice à un contemporain de celui-ci dont l'importance
n'est pas encore reconnue à sa juste valeur. On pourrait en ce
sens le comparer à Ryan Larkin, autre étoile filante de
l'époque qui ajoute d'ailleurs sa voix à ce concert d'éloges.
Admiré tant par George Lucas que par Stanley Kubrick, Arthur
Lipsett ce sera affairé durant les années 60 à
exprimer de manière atypique et poétique l'aliénation
d'une génération. Étrange réflexion sur
le monde de l'audiovisuel, son oeuvre se limitant à quelques
courts-métrages seulement provoque et innove par son exploitation
originale du son et par sa vision violente et innovatrice du montage.
Suite au succès de son film Very Nice, Very Nice en
1961, sorte de collage-recyclage des retailles de bandes sons d'autres
productions de l'ONF, Lipsett deviendra l'uns des rares « artistes
» à être acceptés par l'institution sous le
règne de John Grierson. Malheureusement, son comportement erratique
et des problèmes d'ordre personnel le pousseront à abandonner
le cinéma au début des années 70. Sa vie prendra
alors une tournure plus dramatique. Il se suicide en 1986. Il a alors
cinquante ans.
Allant au-delà du personnage, Remembering Arthur se
penche sur les impacts de la dégradation d'un être sur
ses proches. Ami de la plupart des individus interviewés, Martin
Lavut a obtenu de ceux-ci des témoignages très intimes
qui ne peuvent émerger que dans un climat de confiance authentique;
s'ils se livrent à la caméra, Lavut traite en retour ces
confidences avec le plus grand des respects. Se libérant des
contraintes de la voix off, le réalisateur propose un montage
sensible et intelligent où les propos glanés ici et là
se répondent et s'unissent pour former un seul discours fort
bien articulé. Cette forme conventionnelle et épurée
de documentaire se distingue aujourd'hui par sa transparence et sa clarté:
pourquoi réinventer le monde s'il fait notre affaire? Remembering
Arthur propose ainsi un portrait touchant de la période
durant laquelle la détérioration de son état de
santé mentale a éloigné Lipsett de la création
et des gens qu'il aimait.
Néanmoins, la plus admirable des qualités du film de Lavut
est de souligner l'apport incroyable de Lipsett au monde du cinéma
expérimental canadien. Oubliée des livres d'histoire,
son oeuvre d'un avant-gardisme étonnant annonce les formes d'art
de l'avenir et les préoccupations socio-politiques de notre époque.
D'une lucidité étrange et éclatée, ces collages
frénétiques expriment dans le langage du subconscient
les craintes de tous selon la perspective d'un individu. Remembering
Arthur redore le blason de l'artiste au sens large du terme, l'investissant
à nouveau du rôle crucial de conscience de la collectivité.
S'il traite d'un personnage tragique, ce film s'impose d'abord en tant
qu'hommage affectueux à l'homme de même qu'à titre
de célébration révélatrice de l'artiste.
Le cinéma y renoue ainsi avec son devoir de mémoire, se
faisant gardien de sa propre histoire.
Version française : -
Scénario :
Martin Lavut
Distribution :
Fortner Anderson, Marian Arnold, Donald Brittain,
Martin Duckworth
Durée :
90 minutes
Origine :
Canada
Publiée le :
30 Octobre 2006