RÉJEANNE PADOVANI (1973)
Denys Arcand
Par Alexandre Fontaine Rousseau
À la veille de l'inauguration d'une autoroute dont ils ont orchestré
la construction, quelques politiciens sans scrupule se réunissent
dans la demeure d'un parrain de la mafia, Vincent Padovani, pour célébrer
l'événement. Tandis qu'ils échangent compliments
hypocrites et blagues douteuses autour d'un repas bien arrosé,
leurs hommes de mains et leurs gardes du corps discutent, boivent et
jouent au sous-sol en attendant la fin de la soirée. C'est à
l'extérieur de la luxueuse demeure que se trame le drame qui
viendra gâcher l'atmosphère de cette petite rencontre entre
amis : de retour des États-Unis, la femme de Padovani, Réjeanne,
désire renouer avec son mari qu'elle avait abandonné quelques
années plus tôt pour un rival juif. Ailleurs dans la ville,
de jeunes militants préparent une manifestation pour protester
contre les expropriations massives ayant découlé de la
construction de l'autoroute.
Mal accueilli à Cannes en 1973, le second long-métrage
de fiction de Denys Arcand Réjeanne Padovani s'avère
une oeuvre dramatique des plus intéressantes par l'entremise
de laquelle le célèbre réalisateur québécois
s'attaque à la classe dirigeante ainsi qu'à la corruption
rampante dont elle est le théâtre. Bien ancré dans
la pensée de gauche caractéristique des premières
oeuvres du cinéaste, le propos de cette satire n'est certes pas
des plus subtils mais marque néanmoins le spectateur par son
cynisme grinçant. Le commentaire social et politique est aussi
implacable que limpide: le pouvoir et la corruption ne font et nos représentants
élus sont beaucoup plus préoccupés par leur propres
intérêts et par ceux de leurs amis que par ceux du peuple.
Dans cet état lamentable, le système est condamné
à enfanter des scandales tels que celui qui se fomente ici.
L'intrigue principale, celle du retour de Réjeanne, s'avère
finalement d'une importance secondaire. C'est plutôt son portrait
mordant de la décadence des riches qui justifie le film d'Arcand.
L'élégance de cette soirée est bien relative. Au
fur et à mesure que l'alcool fait effet, l'ambiance se détériore
pour révéler la véritable nature de ces maires
et de ces ministres minables qui se la coulent douce sur le dos des
contribuables. L'opéra et le caviar ne peuvent pas cacher éternellement
la vulgarité et la mesquinerie de leur univers. Les trahisons
et les magouilles se succèdent en secret. Sous les vestons se
cachent de vulgaires Elvis Gratton.
Inspiré du modèle de la comédie de moeurs établit
par Jean Renoir avec sa fameuse Règle du jeu, le scénario
d'Arcand est littéralement construit en strates sociales et respecte
par sa forme la hiérarchie de fer du monde qu'il dépeint.
Ainsi, Réjeanne Padovanni est articulé autour
du clivage existant entre les intrigues des maîtres et de la vie
banale des servants relégués au sous-sol. Ils ne sont
appelés à l'étage supérieur que pour faire
la sale besogne des maîtres, de la simple prostitution au meurtre
de sang froid.
Encore aujourd'hui, le film frappe par son ton cru et son absence totale
de pitié. Le sexe n'est qu'un outil de manipulation et l'amitié
motivée par l'avancement personnel. Le dernier tiers enchaîne
à un rythme remarquable les scènes fortes, de l'infidélité
d'Hélène à l'élimination des militants en
passant par le meurtre de Réjeanne, tout en sachant faire preuve
de réserve dans sa démonstration.
On pardonne vite à Réjeanne Padovani son petit
côté "théâtre filmé": ses
dialogues forts, son propos cinglant et sa distribution d'une authenticité
troublante en font un essentiel du cinéma engagé québécois
des années 70. Malgré sa photographie on ne peut plus
datée, le film a remarquablement bien vieilli. Ici, Arcand ne
fait pas de quartier et n'épargne rien ni personne. Réjeanne
Padovani témoigne d'une rage et d'une frustration à
laquelle la présente génération peut toujours s'identifier.
Plus ça change, plus c'est pareil. Le pouvoir demeure entre les
mains de ceux qui adhèrent aux enseignements de Machiavel.
Version française : -
Scénario :
Denys Arcand
Distribution :
Jean Lajeunesse, Luce Guilbeault, J. Léo
Gagnon, Therese Cadorette
Durée :
96 minutes
Origine :
Québec
Publiée le :
25 Août 2006