THE RED RACE (2009)
Chao Gan
Par Jean-François Vandeuren
En Août 2008, les regards du monde entier étaient tournés
vers la Chine qui, pour la première fois de son histoire, avait
été choisie par le CIO pour être le pays hôte
des toujours très convoités Jeux Olympiques d’été.
Une édition qui aura d’ailleurs été le théâtre
d’une multitude d’exploits sportifs - on pense, entre autres,
aux performances exceptionnelles du coureur jamaïcain Usain Bolt
et du nageur américain Michael Phelps - alors qu’un nombre
pour le moins ahurissant de records mondiaux auront été
fracassés. Malheureusement, l’événement ne
se sera pas déroulé sans qu’une série de
scandales ne viennent assombrir un bilan qui, au premier abord, semblait
pourtant exemplaire. On pense à la pollution ambiante qui aura
nui au rendement de plusieurs athlètes, aux journalistes locaux
à qui l’on interdit de divulguer certains détails
peu reluisants entourant l’organisation des jeux, ou encore au
grandiose spectacle d’ouverture dont la démesure aura pu
être amplifiée grâce aux nombreuses percées
dans le domaine des technologies numériques. Il y eut aussi le
cas de ces jeunes gymnastes chinoises que l’on soupçonna
fortement de ne pas avoir l’âge requis pour participer aux
olympiades. D’ailleurs, qu’en est-il de ces sportifs qui,
à tous les quatre ans, contribuent à faire rayonner le
drapeau rouge et jaune sur la scène internationale? C’est
de ceux-ci que The Red Race, second documentaire du cinéaste
chinois Chao Gan, tente de dresser le portrait en suivant un groupe
d’athlètes âgés de six ans dont les entraîneurs
cherchent déjà à faire des champions mondiaux.
Le réalisateur s’immisce ainsi dans ce milieu pour dévoiler
une réalité parfois horrifiante alors que tous les coups
semblent permis pour s’assurer que l’un de ces bambins remporte
un jour l’une de ces précieuses médailles.
En cette ère où la compétition, et ce, à
tous les niveaux, semble de moins en moins saine et de plus en plus
féroce, le film de Chao Gan apparaît, certes, au départ
comme un document d’une grande importance auquel nous devrions,
par conséquent, porter une attention particulière. Mais
s’attaquer à un problème aussi délicat comporte
également certains risques alors qu’il n’est pas
rare de voir le potentiel d’un sujet s’estomper peu à
peu au profit de préoccupations d’ordre essentiellement
spectaculaire. La ligne séparant ces deux extrêmes - entre
la réponse intellectuelle et celle purement émotionnelle
- est évidemment très mince, et l’une sur laquelle
le cinéaste chinois déambule d’autant plus sans
jamais être en parfait équilibre. Ce dernier accompagne
ainsi ses sujets dans leur quotidien tandis que l’on tente déjà
de leur inculquer l’importance du travail et de faire honneur
à sa patrie devant les nations étrangères. Le réalisateur
se retrouvera également dans une position pour le moins privilégiée
alors qu’il aura la chance de s’aventurer dans les coulisses
d’une nouvelle institution, laquelle se doit évidemment
de faire rapidement ses preuves si elle désire rester opérationnelle.
Il ressortira de cette initiative une véritable course contre
la montre qui, pour sa part, sera alimentée par une intolérance
de plus en plus punitive face à l’échec. Des larmes
seront d’ailleurs fréquemment visibles sur le visage des
jeunes athlètes, lesquelles ne feront toutefois qu’accentuer
le comportement déjà passablement agressif des instructeurs.
Agissant à titre de simple observateur, Chao Gan réussira
à extirper une puissance dramatique inouïe de plusieurs
de ses images en révélant au grand jour les gestes hautement
répréhensibles commis par ces entraineurs à l’endroit
de leurs élèves - on pense, notamment, à cette
monitrice qui fera violemment trébucher une gymnaste incapable
d’exécuter un certain mouvement correctement.
La pertinence de The Red Race se trouve d’ailleurs dans
cette façon très détachée, mais néanmoins
inéluctable, dont Chao Gan expose son public à cette réalité
évidemment tout ce qu’il y a de plus troublante. Mais bien
qu’une telle distanciation soit ici absolument nécessaire,
cette volonté de ne jamais s’introduire dans le vif du
sujet n’a malheureusement pas que des effets positifs. Le réalisateur
arrive bien à illustrer toute la souffrance physique et psychologique
avec laquelle ces gymnastes doivent apprendre à composer - notamment
dans cette séquence bouleversante où deux fillettes à
bout de nerfs tentent tant bien que mal de rester suspendues à
une barre asymétrique - pour placer le spectateur dans une position
de plus en plus inconfortable. Il faut dire que le problème ne
réside pas tant ici dans la nature de cette esthétique
froide et aseptisée, dont le recours constant aux plans fixes
s’avère même fort judicieux, plus que dans la manière
dont celle-ci semble littéralement empêcher son maître
d’oeuvre d’aller au bout de certaines pistes narratives.
Le cinéaste aurait d’ailleurs gagné à s’aventurer
davantage à l’extérieur du gymnase pour situer la
dureté de son microcosme dans un cadre social un peu plus significatif,
et surtout mieux défini. En particulier au coeur d’une
Chine dans laquelle les parents ne sont plus toujours en mesure d’élever
eux-mêmes leurs enfants, tandis que ceux-ci doivent supporter
dès leur jeune âge tout le poids de l’avenir familial
sur leurs frêles épaules. S’il s’agit là
d’une situation dont le réalisateur est visiblement conscient,
The Red Race ne se contente malgré tout que de gratter
la surface de ce problème tout de même assez inquiétant
alors que la durée déjà extrêmement limitée
de l’essai laisse paraître en soi une volonté de
simplement choquer le spectateur plutôt que de lui offrir un portrait
un peu plus approfondi des enjeux abordés.
Il serait évidemment un peu ridicule d’étiqueter
automatiquement le film de Chao Gan comme un document superflu ou même
dépourvu de tout intérêt - ou, à l’opposé,
de l’encenser pour un acte courageux qu’il n’accomplit
finalement qu’à moitié. Car, après tout,
The Red Race demeure une oeuvre suffisamment habile pour capter
- et surtout conserver - l'attention de son public du début à
la fin, et assez consistante pour lui faire prendre connaissance de
la gravité de cette situation pour laquelle il ne semble malheureusement
exister aucune solution concrète à l’heure actuelle.
À cet effet, nous pourrions, certes, affirmer que le présent
effort atteint bel et bien son objectif. Mais en ne cherchant à
susciter qu’une réponse essentiellement émotive
chez le spectateur, le travail de sensibilisation effectué par
le réalisateur chinois finit par détourner le regard de
ce dernier de plusieurs questions fondamentales. Que le tout soit dû
à un manque de volonté, de moyens ou de latitude, The
Red Race ressort malgré tout comme un film aux intentions
assurément nobles, mais dont le développement s’avère
tout simplement incomplet, et parfois même erroné. Une
chose est sûre néanmoins : Chao Gan sait où braquer
sa caméra pour produire un maximum d’effets dramatiques
tout en amplifiant ceux-ci par l’entremise d’une approche
esthétique pourtant tout ce qu’il y a de plus épurée.
Ce dernier nous offre en bout de ligne un reportage sensible, mais opportuniste,
sur la vie de ces jeunes gymnastes pour qui le sport n’aura pas
pris tant des allures de jeu plus que celles d’une véritable
affaire d’état. Le drame dans ce cas-ci, c’est que
seulement une infime partie de ces athlètes sont véritablement
destinés à monter un jour sur l’une des marches
du podium. Pour les autres, tout ce traitement n’aura été
qu’une dure épreuve à traverser, laquelle pourrait
toutefois s’avérer lourde de conséquences…
Version française : -
Scénario :
Chao Gan
Distribution : -
Durée :
70 minutes
Origine :
Chine
Publiée le :
21 Octobre 2009