RED (2008)
Trygue Allister
Lucky McKee
Par Mathieu Li-Goyette
La remise en question de la valeur du code juridique peut être
le théâtre de plusieurs pièces de jeu dramatiques
sur le grand échiquier de la crise identitaire d’un peuple.
Une société étant tout d’abord fondée
sur un code d’éthique commun donnant ensuite naissance
à une politique, puis un système législatif, reste
contrainte dans son bon fonctionnement à une logique de discernement
qui doit rester sans faille : la vérité absolue; on ne
grandit sainement qu’en présence d’une volonté
de vérité mutuelle d’abord, ensuite envers les plus
hautes instances. C’est sur l’analyse de cette évolution
que porte le roman Red de Jack Ketchum, transposé à
l’écran sous la tutelle mécanique de Lucky McKee
dans un projet modelé dramatiquement sur le dernier film de Paul
Haggis (In the Valley of Elah). Réflexion philosophe
sur la valeur comparée des vies animales et humaines, Red
porte le nom du chien d’Avery Luldlow (Brian Cox), gérant
d'un magasin général de Portland, qui se fait abattre
à coup de chevrotine par un groupe de jeunes adolescents sous
les yeux du maître. Ce qui s’annonçait être
le récit d’une vengeance sauvage se change en combat contre
l’irrationalité d’une jeunesse mal éduquée.
Au pays du deuxième amendement, là où l’auto-défense
fait loi, le thème des armes à feu et de leur pouvoir
décisionnel sur la vie et la mort de chacun semble faire mine
de beaucoup plus d’attention que partout ailleurs. Transposés
sur les répercussions de la mort d’un chien, les mêmes
mécanismes d’auto-défense s’hérissent
autour de personnages typiques à qui l’on confère
un désir sans limite de faire valoir leur position; des porte-paroles
du quotidien américain. En ce sens, Red se sert d’une
confrontation des mythes de l’actualité comme de l’outil
de sa réussite tout en ne sachant pas exactement comment en colmater
les défauts. Le questionnement, à l’origine, étant
de proposer une entente sur la valeur qualitative de la vie des animaux
étant trop tôt oubliée au profit d’un conflit
où le principe du bien-être se voit affronter celui du
mensonge dans un développement manichéen où la
nuance ne peut être fournie que par les médias. Bref, à
en croire Red, tous les êtres sont fondamentalement bons,
mauvais ou innocents tandis que la neutralité provient d’un
mélange déformé de la réalité prisée
par les médias. Formule appliquée systématiquement
tout au long de l’enquête de Ludlow, aidé par une
jeune journaliste visionnaire et un avocat exemplaire, l’ennemi
prend la forme d’adolescents grossièrement nuancés
et de leur père despotique (Tom Sizemore).
Ludlow est de ces cowboys d’antan, ex-marine, pêcheur, chasseur,
bon vivant, mais à qui la vie à tout pris en enlevant
sa femme et son plus jeune fils suite aux folies de son premier enfant
désaxé. À l’opposé, l’ «anti»-père
est un homme opulent, mariée à une femme magnifique bien
plus jeune que lui, a deux enfants gâtés et tient avant
tout à préserver l’image que le village tient de
lui. Pire éducateur possible, c’est de son arme que le
chien Red décède et malgré les efforts répétés
de Ludlow a lui faire entendre vérité de ses fils, le
bourgeois cerné préfère croire ses enfants manipulateurs
et protéger à tout prix la vie de ses fils maintenant
harcelées. Poursuivis en raison d’une recherche de la vérité,
son plaidoyer, les adolescents sont ici des monstres de malhonnêteté
et de négligence faisant rappeler au cowboy son premier fils
avec lequel il avait vraisemblablement « manqué son coup
». La vendetta du village s’élève. D’un
côté la demande d’une vérité venant
de l’homme sage, de l’autre la loi du talion mise en valeur
par des jeunes voulant vanter leur statut et prouver qu’ils (et
leur père) sont les plus forts pour obtenir le respect –
la vie animale n’égalant pas leur supériorité.
Sans être le procès d’une génération,
Red est un film coup de poing qui nous lance plusieurs questionnements
sur l’endurance de la provocation gratuite. Jusqu’où
doit-on supporter le manque d’estime et comment doit-on y rétorquer?
Sans y trouvé remède, McKee écourte la montée
de tension dans une finale précipitée où l’excès
de violence des uns les prendra à revers; Ludlow n’agissant
que pour se défendre ne tuera personne contrairement au père
fou de la gâchette. Au final, la justice d’une vie animale
(prétexte de l’étalement des réflexions sur
la justice et la vérité) vaut-elle celle d’une famille
(aussi déficiente soit-elle)? Transposition classique, mais toujours
efficace selon l’époque où elle se réalise,
d’un dilemme entre un raisonnement déontologique d’une
justice personnelle et d’un utilitarisme sociétaire où
l’on ne juge que pour empêcher les récidives, Red
pousse les élans du film de Haggis à un niveau d’ensemble
bien plus fondamental. En n’y oubliant pas le rôle vital
des médias dans les rouages d’une demande de justice, il
semble faire le résumé d’un cheminement de la vertu
collective qu’on décrypte régulièrement au
coeur des productions américaines de l’ère irakienne.
Si la prouesse est en partie due à l’ignorance de données
politiques, les seuls défauts majeurs du dernier film de Lucky
McKee s’excuseront à la co-réalisation forcée
suite au renvoie (pour des raisons inconnues) du réalisateur.
Mise en scène inégale tout comme son montage et la direction
de ses acteurs, Red aurait pu être une création
grandiose en son genre. Pour l’instant, il ne se contente que
d’être une synthèse rare et nécessaire.
Version française : -
Scénario :
Stephen Susco, Jack Ketchum (roman)
Distribution :
Brian Cox, Noel Fisher, Tom Sizemore, Kyle Gallner
Durée :
98 minutes
Origine :
États-Unis
Publiée le :
28 Juillet 2008