RECHERCHER VICTOR PELLERIN (2006)
Sophie Deraspe
Par Alexandre Fontaine Rousseau
Seuls quelques peintres québécois ont su obtenir la faveur
et la reconnaissance du grand public. On cite généralement
les Paul-Émile Borduas, Marcelle Ferron et autres Jean-Paul Riopelle
ayant signé le fameux manifeste du Refus Global; les périodes
subséquentes de l'art visuel québécois ne sont
connues que d'une poignée d'initiés. Figure énigmatique
de la fin des années 80, le jeune Victor Pellerin aura à
sa manière marqué le paysage artistique québécois
avant de disparaître en fumée en compagnie de la totalité
de son oeuvre en 1990. « It's better to burn out, than to fade
away », nous chantait Neil Young en 1979. Dans le cas de Pellerin,
l'éclipse s'est par ailleurs produite un peu trop vite: sa disparition
hâtive - et à ce jour inexpliquée - l'a certes auréolé
de cette image de martyr incompris que chérit depuis toujours
le monde des arts. Néanmoins, son passage éclatant et
pour plusieurs marquant tient maintenant plus de l'anecdote que de l'histoire.
C'est dans le but de comprendre cet intrigant personnage que la jeune
documentariste Sophie Deraspe s'est lancée à la recherche
du véritable Victor Pellerin. Espérant pouvoir saisir
l'homme derrière le mythe, elle a rencontré amis, parents
et partenaires d'affaires du peintre. Défilent devant sa caméra
les Julien Poulin, Anne Lebeau, Eudore Belzile et compagnie qui ont
côtoyé cet iconoclaste à la dérive entre
folie et génie. Grâce à cette initiative, le grand
public québécois pourra, espérons-le, découvrir
cette figure tragique et méconnue de son histoire artistique.
Le hic, c'est que Victor Pellerin n'a jamais existé et que, malgré
les apparences, Rechercher Victor Pellerin n'est pas un documentaire.
En fait, le film de Sophie Deraspe est caractéristique de ce
que Gilles Marsolais qualifiait de pollinisation de la fiction par le
documentaire. Cette forme docu-fictive métissée, particulièrement
pertinente à une époque où la véracité
de l'image est remise en question sur tous les fronts, puise son impact
à même nos réflexes de lecture cinématographique.
En nous confrontant à des images qui affichent tous les tics
du documentaire et du cinéma direct, la jeune réalisatrice
force à réfléchir sur ce qui distingue le vrai
du faux. À l'instar des oeuvres de Peter Watkins, de Robert Morin
ou même de Claude Fortin, son film démontre la facilité
avec laquelle on peut forger des faits et créer l'illusion de
réalité au cinéma.
Dans cette optique, son faux documentaire s'avère particulièrement
crédible. Si de rares passages sentent un peu fort l'orchestration
artificielle, le film se démarque dans l'ensemble par son habile
appropriation de la façade documentaire. On a même le goût
de l'accuser d'avoir sombré dans le voyeurisme par quelques-unes
de ses décisions au montage, rivant son objectif sur une intimité
que l'on aurait laissé aux protagonistes. Rechercher Victor
Pellerin nous prend réellement au piège dans son
petit jeu: il nous émeut et nous fait rire tout en piquant notre
curiosité au fur et à mesure que se dévoile en
filigrane une intrigue policière.
Au-delà de ces considérations esthétiques, Rechercher
Victor Pellerin nous propose une satire à la fois caricaturale
et tout à fait vraisemblable sur le milieu de l'Art, ses commérages
et son élitisme. Le monde que dépeint le film de Deraspe
est dominé par les intérêts mercantiles: les divagations
narratives de la cinéaste s'attaquent à la fois à
cette logique de marché et à cette fascination presque
nécrophile pour les victimes et les martyrs. Ainsi, ce Victor
Pellerin s'impose comme une sorte d'idéal à la limite
morbide de l'artiste; créature composite englobant toutes les
figures tragiques de Baudelaire à Cobain en passant par Van Gogh
et Jean-Claude Lauzon, Pellerin est un autre de ces poètes maudits
que l'on hisse presque par réflexe jusqu'au panthéon des
grands.
Si sa caméra capte avec une réelle vigueur l'énergie
de ses sujets, c'est par sa direction photo léchée sans
être plastique que Deraspe se démarque au niveau purement
technique. Soigneusement élaboré tant au niveau du fond
que de la forme, Rechercher Victor Pellerin s'impose d'emblée
comme l'un des films québécois les plus ludiques et réussis
de 2006. Qu'il s'agisse d'un premier long-métrage a tout pour
surprendre: l'aisance avec laquelle Deraspe arrive à y brouiller
les pistes tout en échafaudant un propos digne de ce nom impressionne.
«Comme tous les autres films, Rechercher Victor Pellerin
est un documentaire», affirme-t-elle. Comme tous les documentaires,
sa vérité est discutable. Mais c'est de ce conflit entre
le vrai et le faux que se nourrissent toutes les sphères de l'existence.
Version française : -
Scénario :
Sophie Deraspe, Denis Langlois
Distribution :
Eudore Belzile, Anne Lebeau, Olga Korper, Eric
Devlin
Durée :
102 minutes
Origine :
Québec
Publiée le :
18 Octobre 2006