[Rec] (2007)
Jaume Balagueró
Paco Plaza
Par Alexandre Fontaine Rousseau
The Blair Witch Project a prouvé à une génération
de cinéastes qu'il était possible de faire peur aux foules
en agitant une caméra dans le noir. C'était en 1999. Il
aura fallu quelques années pour que les répercussions
réelles de cette révélation se fassent sentir,
mais c'est aujourd'hui chose faite: ce genre de cinéma subjectif
est devenu un courant dominant au royaume de l'horreur, et même
le maître George A. Romero a tenté l'expérience
avec son tout récent Diary of the Dead. En attendant
une armée de clones de Cloverfield qui ne saurait tarder
à envahir le marché, les amateurs pourront se jeter dans
un futur proche sur un remake américain de ce [Rec]
des Espagnols Jaume Balagueró et Paco Plaza. Mais ce petit film
de 2007, primé dans plusieurs festivals en Europe, précède
de plusieurs mois l'espèce de frénésie tendancieuse
qui entoure la mouvance dans laquelle il s'inscrit. Le cinéma
d'horreur, depuis maintenant quelques années, carbure aux modes
plus qu'aux véritables réussites: et cette nouvelle vague
de « cinéma-vérité » n'est en réalité
qu'une nouvelle manière de légitimer la fiction auprès
d'un public qui doit croire pour craindre. Dans cette optique, [Rec]
s'avère toutefois une honnête réussite. Efficace,
cette montagne russe tire un maximum d'impact de ses quelques effets
de mise en scène et entretient par un jeu constant entre tension
et relâchement une réelle intensité. Mais il révèle
par le fait même la faille majeure de cette forme, c'est-à-dire
l'évacuation de toute terreur psychologique au profit d'une expérience
purement cognitive et sensorielle.
Une équipe de télévision chargée de tourner
un reportage sur le quotidien des pompiers est envoyée sur les
lieux d'un incident en apparence banal afin de les filmer en action.
Mais tous impliqués comprennent bien vite que quelque chose ne
tourne pas rond dans cette opération de routine: la vieille femme
à laquelle ils devaient venir en aide attaque sauvagement un
policier, le blessant grièvement. Bientôt l'édifice
est scellé de l'extérieur par les autorités, et
ses occupants découvrent qu'ils ont été emprisonnés
avec des créatures dont le mal est contagieux. S'ensuit une véritable
descente aux enfers, les infectés prenant peu à peu le
dessus sur les humains normaux jusqu'à ce qu'il ne reste plus
qu'une poignée de survivants courant dans toutes les directions.
Bref, [Rec] est une énième variation sur le thème
de l'invasion zombie - sujet qui se prête depuis toujours à
la métaphore sociale mais que Balagueró et Plaza n'exploitent
que pour son généreux potentiel en péripéties
horrifiques. Soit, le seul objectif que se sont donnés les deux
réalisateurs est de foutre la trouille aux spectateurs; et, à
cet égard, ils gagnent leur pari. [Rec] est un bon manège,
riche en sensations fortes et dépourvu de réels temps
morts. Mais en tant que film d'horreur il échoue à laisser
une impression durable, à perdurer une fois la projection terminée.
L'immédiateté de son impact s'avère en ce sens
une lame à double tranchant.
Dans la conception qu'en propose [Rec], le film d'horreur ne
sert plus à exprimer - et exorciser - nos craintes profondes.
Il sert à tester nos nerfs, et triomphe s'il nous fait sursauter.
C'est un cinéma physique, une épreuve d'endurance travaillant
d'arrache-pied à prendre le contrôle total de nos sens
quitte à nous en retirer un de temps à autre pour affirmer
sa domination sur notre perception. Cette stratégie est d'autant
plus perverse qu'en apparence, le style subjectif préconisé
épouse les caractéristiques de notre relation naturelle
à l'environnement. Une fois happé par le film, il est
à la limite impossible de se libérer de son étreinte.
[Rec] ne s'insinue pas. Il s'impose, nous fixant sur place
pour ensuite nous projeter à toute vitesse dans une folle course
à obstacles: alternance entre l'ombre et la lumière, entre
le calme et la tempête, ambiguïté de décors
où le moindre élément en apparence anodin se transforme
en menace potentielle dans notre esprit mystifié. Dans cette
poursuite incessante de la crédibilité opposant les cinéastes
à un auditoire de plus en plus désabusé, cette
stratégie formelle consistant à épouser un code
visuel du réel pour ensuite le déformer atteint avec brio
son principal objectif: nous faire perdre la raison et dynamiter notre
réflexe de distanciation.
Au-delà sa brutalité déstabilisante, [Rec]
opère surtout à partir d'une maîtrise aiguisée
des mécanismes de la peur. En apparence simples, les parcours
élaborés par les réalisateurs font preuve d'une
ingéniosité et d'une précision souvent diaboliques:
la fiévreuse séquence finale, à ce sujet, clôt
l'affaire de manière particulièrement réussie en
multipliant les mirages et les chocs inattendus à un rythme effréné
avant de nous laisser en suspend sur une dernière image troublante.
Dans la mesure où [Rec] existe uniquement dans l'instant
présent, l'absence de tout sous-texte est somme toute parfaitement
pardonnable. Idem pour la relative banalité du scénario.
La carnassière progression en crescendo du film et l'étouffante
immersion en découlant sont les seules sensations que cherchent
à provoquer Balagueró et Plaza. En défintiive,
le tandem n'a certes pas réalisé un chef-d'oeuvre du genre.
Trop ancré dans ce qui n'est en toute vraisemblance qu'une autre
mode passagère, leur film n'a pas la profondeur des véritables
classiques de l'horreur. Mais [Rec] s'avère une solide
machine, un exercice essoufflant à souhait qui pose la question:
si la substance cède le pas à l'effet, l'effet peut-il
être considéré comme substance en soi?
Version française : -
Scénario : Jaume Balagueró, Luis Berdejo, Paco Plaza
Distribution : Manuela Velasco, Javier Botet, Manuel Bronchud,
Martha Carbonell
Durée : 85 minutes
Origine : Espagne
Publiée le : 8 Juillet 2008
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