REAL FICTION (2000)
Kim Ki-duk
Par Jean-François Vandeuren
Difficile de concevoir que ce Real Fiction soit sorti la même
année que l’excellent The Isle, car ce quatrième
effort de Kim Ki-duk ne possède absolument rien de la subtilité
et de la maturité de l’œuvre qui allait finalement
faire sa renommée à peine quelques mois plus tard. Dans
tous les cas, ce changement de cap aura mis en évidence une évolution
prodigieusement rapide de la part du cinéaste sud-coréen
qui en aura profiter pour étoffer la mise en scène de
ses différentes thématiques. Mais en attendant, la triste
réalité est qu’il aura dû passer par le présent
film avant d’atteindre les sommets vertigineux des Spring,
Summer, Fall, Winter… and Spring et 3-Iron. Pas
qu’il s’agisse ici d’un film complètement raté,
mais Real Fiction fait part d’une approche beaucoup trop
paresseuse et gratuite pour rivaliser avec les standards de qualité
auxquels le cinéma de Kim Ki-duk allait nous habituer par la
suite.
Nous sommes donc introduits à un jeune artiste de rue qui se
fait marcher sur les pieds depuis le commencement de sa vie. Après
une rencontre des plus étranges dans un théâtre
avec un individu qui lui renverra toute sa misère en plein visage
comme s’il le connaissait personnellement, le jeune homme partira
en croisade dans le but d’assassiner brutalement chacune des personnes
l’ayant humilié ou qui aura contribué à rendre
son existence un peu plus misérable par le passé.
Malgré un scénario aussi mince qu’une feuille de
papier, venant de la part de Kim Ki-duk, on aurait tout de même
pu s’attendre à ce que sa vision vienne ajouter de la chair
autour de l’os. Mais ce n’est malheureusement pas le cas,
et ce n’est pas que le réalisateur n’a pas essayé.
Real Fiction apporte ainsi au départ une dimension plutôt
intrigante au traditionnel film de vengeance de par la manière
dont Kim Ki-duk présente les individus dont le personnage principal
désire se venger. Il s'agit de gens tout ce qu’il y a de
plus ordinaire et qui n’ont rien de menaçant ou d’inatteignable
comme c’est le cas habituellement dans ce genre de scénario.
Mais même si le cinéaste visite entre temps un éventail
de concepts plutôt large, passant, évidemment, par la vengeance,
la quête d’identité, le voyeurisme et le traitement
de la violence dans les médias, la plupart de ses personnages
ne sont développés qu’à moitié ou
finissent par perdre tout leur sens de par la perspective dont ils nous
sont présentés. Le cinéaste finit ainsi par focaliser
unilatéralement sur le parcours de notre tueur en série
improvisée d’une manière redondante et confuse.
Les hostilités débutèrent pourtant sur une bonne
note. Kim Ki-duk s’amuse alors à filmer de différents
points de vue le personnage principal, présent dans un lieu public,
nous ramenant ainsi au genre de mises en scènes auxquelles Michael
Haneke nous a habitué. Au départ, le spectateur est placé
dans un position plutôt distante. Le cinéaste sud-coréen
effectue alors la transition entre trois approches bien distinctes,
soit les plans fixes, la caméra à l’épaule,
et une dernière émergeant directement du récit
par le biais d’une caméra amateur manipulée par
une jeune fille pour des raisons encore inconnues. L’idée
en soi est assez pertinente, mais le problème est qu’en
court de route, ces changements de perspective amènent leur lot
d’incohérences et finissent par perdre tous points d’attaches
avec le récit. Il faut dire également que le film a été
fait en suivant le modèle instauré par Ed Wood, chaque
prise ayant été filmée qu’une seule fois
pour qu’émerge un caractère plus spontané,
ce qui soutient tout de même bien le concept de réalité
versus fiction développé par Kim Ki-duk (d’où
le titre du film), mais qui, encore là, n’est que partiellement
réussi. Face à cette initiative, les acteurs se tirent
étonnamment bien d’affaire, mais l’expérience
occasionne plusieurs erreurs risibles et des mouvements de caméra
qui ne captent pas toujours l’action de façon appropriée.
Real Fiction est finalement l'un des maillons les plus faibles
de la filmographie de Kim Ki-duk que même les fans du cinéaste
se feront une joie d’oublier. Un effort qui aurait pu éviter
le pire s’il n’avait pas été élaboré
en quatrième vitesse dans le simple but de servir son idée
de départ, nous donnant un film rempli d’imperfections
techniques et de thématiques seulement élaborées
qu’en surface. On ne gardera en tête qu’une solide
séquence d’ouverture qui laisse la place par la suite à
une série d’événements dont le sadisme n’intéressera
probablement que le principal concerné. Et pourtant, la matière
et le talent était là pour nous donner un bien meilleur
résultat. La dernière scène prenant les allures
d’un stratagème signé Jean-Luc Godard donne certainement
un tout autre sens à l’effort, mais ce n’est malheureusement
que trop peu trop tard.
Version française : -
Version originale :
Shilje sanghwang
Scénario :
Kim Ki-duk
Distribution :
Ju Jin-mo, Kim Jin-ah, Son Min-seok, Lee Je-rak
Durée :
82 minutes
Origine :
Corée du Sud
Publiée le :
13 Janvier 2006