RAY (2004)
Taylor Hackford
Par Alexandre Fontaine Rousseau
De par le simple fait que la vie parsemée d'embuches de Ray Charles
soit en soi si passionnante, le drame biographique de Taylor Hackford
sur le célèbre musicien américain partait avec
une longueur d'avance sur bien des films du même genre. Cela dit,
le genre en question, le drame biographique, est un genre en perdition
sur lequel de moins en moins de producteurs osent investir et, qui plus
est, attirer un public de plus en plus restreint, chose que Michael
Mann avait appris à ses dépends avec son Ali.
Voilà qui pourrait peut-être expliquer pourquoi le projet
Ray a mis presque quinze ans avant de finalement venir au monde.
Presque parfaitement synchronisée avec la mort du chanteur à
la fin de l'été 2004, la sortie du film permet enfin de
voir si Hackford, réalisateur moyen à la filmographie
peu distinguée, a réussi a saisir l'ampleur de ce personnage
majeur qui aura marqué l'histoire du jazz et de la musique populaire
en plus de jouer un rôle important dans la lutte contre la ségrégation
raciale aux États-Unis.
Finalement, Hackford offre avec Ray un film fort compétent
qui illustre très bien l'importance de Charles dans l'histoire
de la musique, en plus de présenter de façon prenante
le drame humain fascinant de son personnage, sans pour autant être
une réussite éclatante. Soutenu par le jeu remarquable
d'un Jamie Foxx étonnant qui incarne véritablement le
musicien jusque dans ses moindres tics, Ray est une production
soignée mais un tantinet mécanique qui a le mérite
de laisser la musique de ce pionnier du soul parler par elle-même
et dicter le rythme du film. Cette approche très musicale de
la vie du personnage donne des résultats intéressants
car elle crée d'excellents liens entre l'homme et ses chansons.
À ce titre, la naissance tumultueuse d'Hit the Road,
Jack demeure l'un des bons coups de la mise en scène d'Hackford.
Ainsi, le film part du petit village pauvre où nait Charles en
1932 et nous mène jusqu'à Seattle, où le chanteur
devenu aveugle obtient ses premiers contrats sérieux dans de
petits clubs. De cette ville de la côte ouest américaine,
la carrière de Ray Charles démarre véritablement.
Après avoir quitté une gérante manipulatrice, il
se lance en tournée où il entre pour la première
fois en contact avec l'héroïne, et enregistre ses premiers
45 tours. Le succès finit par frapper à sa porte et Charles
développe peu à peu son propre style, un mélange
entre le rythm and blues et le gospel qui fascine tant les
puristes du jazz frustrés par la révolution bop que les
amateurs de musique populaire. Parmi les évènements de
la carrière de Ray Charles que le film arrive le mieux à
traduire se trouve sans doute le passage d'une étiquette indépendante
aux ligues majeures de l'industrie, avec tout ce qu'implique un tel
changement. Ray n'hésite pas non plus à illustrer les
effets négatifs du statut de vedette sur l'ego d'un individu.
Malgré tout, c'est dans l'ambiance chaleureuse des petits studios
d'Atlantic que le film d'Hackford lève vraiment, dans cet univers
merveilleusement recréé où furent enregistrés
certaines des meilleures chansons de l'artiste. Au coeur d'une distribution
inégale, Jamie Foxx offre une performance mémorable mais
aussi calibrée pour les Oscars et son jury prévisible.
Difficile de différencier l'acteur de l'artiste dans la peau
duquel il se glisse tant son jeu est une reconstitution aussi minutieuse
qu'énergique des moindres mimiques si caractéristiques
de celui-ci. Le film s'applique à présenter avec justesse
tant les moments glorieux de la carrière de Ray Charles que ses
démons et sa part d'ombre. C'est peut-être par la qualité
globale du portrait qu'il dresse de son sujet que Ray réussit
à faire oublier ses faiblesses. Par exemple, ses dialogues qui
manquent parfois légèrement de naturel.
Rehaussée par une photographie travaillée, Ray
est une production de qualité qui fait justice à l'homme
qu'il célèbre mais surtout à sa musique. Entrainant
et constamment intéressant malgré quelques défauts,
le film de Taylor Hackford plaira au public auquel il est destiné
mais n'entrera pas dans les annales du cinéma. On est ici bien
loin d'un Amadeus mais, malgré une finale abrupte, Ray
est un bon survol de la carrière d'un artiste marquant du XXe
siècle. En laissant la place d'honneur à sa musique, Hackford
a trouvé la meilleure façon de célébrer
Ray Charles et de lui offrir un dernier hommage.
Version française :
Ray
Scénario :
Taylor Hackford, James L. White
Distribution :
Jamie Foxx, Kerry Washington, Regina King, Clifton
Powell
Durée :
152 minutes
Origine :
États-Unis
Publiée le :
16 Décembre 2004