RASHOMON (1950)
Akira Kurosawa
Par Alexandre Fontaine Rousseau
Lorsque l'on écoute un film, on prend souvent pour acquis que
les images qui s'y retrouvent suite au montage correspondent à
la réalité de l'histoire qui nous est racontée.
Au cinéma, l'image ne ment pas. C'est cette croyance de base
qui permet au spectateur de ne pas se perdre dans un labyrinthe de suppositions
et de contradictions inextricables lorsqu'il visionne un film. Or, ce
même spectateur écarte par le fait même la nature
fort souvent subjective de ces images qui épousent parfois le
point de vue d'un personnage ou d'un narrateur. Dans cet infini débat
sur les caractéristiques et les exceptions de la réalité
filmique, Rashomon fait figure de monument de recherche dont
une analyse scientifique des subtilités s'avère une tâche
presque impossible à mener à terme. Avec Rashomon,
Kurosawa fait continuellement mentir ses images et donne au spectateur
l'un des rôle-clés de son scénario, celui du juge
ayant à distinguer le vrai du faux dans toute cette histoire.
C'est donc par l'entremise d'un plan fixe le plus franc possible que
nous écoutons tout d'abord les témoignages de différents
acteurs d'un drame sordide ayant secoué la campagne japonaise
du onzième siècle, avant d'être plongé dans
de longues séquences qui illustrent en fin de compte des mensonges.
La grande particularité de Rashomon est de révéler
la personnalité de ses protagonistes non pas par la nature de
leurs actions mais par celle de leurs mensonges. En ce sens, le thème
de la vérité qui est au coeur de l'oeuvre est proposé
par la nature même de la progression narrative et des techniques
de caractérisation. Scénario compact où chaque
détail a son importance, Rashomon tire un rendement maximum de
ses quelques quatre-vingt-dix minutes.
Ici, l'humanisme sensible de Kurosawa est mis à rude épreuve
par la dure réalité de la nature humaine. Lorsque les
personnages de Rashomon s'enfoncent jusqu'au coeur de cette forêt
sauvage qui sert de théâtre à la tragédie,
ils y découvrent en fin de compte les plus sombres secrets de
l'âme humaine et dévoilent la nature de leurs propres faiblesses.
Rashomon se déroule dans un monde de misère et
de souffrance, de pauvreté et d'injustice. C'est le décor
parfait pour faire briller les héros aux grandes âmes et
aux coeurs purs. Mais la majeure partie de Rashomon défile sans
qu'aucune rédemption ne semble possible. Tous mentent pour défendre
leurs intérêts, même ceux qui sont en apparence innocents.
Ce n'est qu'en fin de parcours, lorsque tout semble perdu, que l'optimisme
de Kurosawa refait surface. En acceptant d'adopter un enfant abandonné,
un paysan par son altruisme impromptu vient racheter l'espèce
humaine. Malgré tous ses travers, exprime Kurosawa, le genre
humain est encore capable de faire le bien. Film au ton plus sombre
que ne l'est en général le cinéma de ce maître
du cinéma japonais, Rashomon arrive très élégamment
à intégrer une conclusion édifiante et encourageante
à la progression d'une histoire qui semblait pointer vers une
autre direction.
Véritable leçon de cinéma, le film de Kurosawa
demeure une réalisation exemplaire dont le modernisme surprend
encore et toujours. Tout comme Citizen Kane, qui aurait pu
être réalisé aujourd'hui sans grandes altérations
majeures, Rashomon se distingue par la finesse d'un jeu de
caméra posé et intelligent. Que ce soit le premier film
oriental à attirer l'attention des cinéphiles occidentaux
justifie son importance historique mais n'explique pas son succès.
Ce qui fait que l'on revient encore et toujours au classique de Kurosawa,
c'est cette splendide naïveté nuancée qui en informe
la réflexion. L'indéniable accomplissement technique de
l'ensemble n'est que le couronnement pour un film fort simple dont la
densité, pourtant, a de quoi laisser pantois. Ce qui a vraiment
eu lieu dans cette forêt restera à jamais un mystère,
car même la perspective qui peut nous sembler définitive
est voilée par le mensonge et la subjectivité. Mais c'est
cette absence d'absolu qui fait de Rashomon un film grandiose.
Version française :
Rashomon
Version originale :
Rashômon
Scénario :
Akira Kurosawa, Ryunosuke Akutagawa (histoires)
Distribution :
Toshirô Mifune, Machiko Kyô, Masayuki
Mori, Takashi Shimura
Durée :
88 minutes
Origine :
Japon
Publiée le :
2 Juillet 2005