RAINING STONES (1993)
Ken Loach
Par Nicolas Krief
Le cinéma réaliste n’aurait pas eu une place aussi
importante dans la cinématographie mondiale sans le free-cinema
britannique; Stephen Frears, Mike Leigh, Karel Reisz, Ken Loach et les
autres ont beaucoup apporté au cinéma anglais, amenant
le réalisme à l’avant plan. En effet, sans ces cinéastes,
les films britanniques ne seraient que grandes fresques romantiques.
Nous nous intéresserons dans cette critique au plus engagé
des cinéastes de cette vague, Kenneth Loach. Dans les années
90, Loach consacra une trilogie aux effets du Thatchérisme dans
l’Angleterre qu’il défend ardemment, celle des ouvriers.
Trois films où il nous présente la vie quotidienne de
gens de la classe ouvrière, venant de petits villages ou de grandes
villes, qui essaient tant bien que mal de survivre dans un pays où
les petites gens comme eux n’ont pas droit aux privilèges
que la Dame de fer accordait aux riches. Raining Stones, le
plus léger des trois films, est aussi le plus réussi.
Dans une petite ville près de Manchester, un homme au chômage
désire trouver l’argent pour offrir à sa fille une
robe de première communion. Avec ce simple synopsis, Loach signe
une tragi-comédie qui, en plus de traiter des thèmes principaux
de sa trilogie, décrit la relation que les ouvriers anglais ont
avec la religion chrétienne. Ce sont pour des raisons religieuses
que Bob entreprend sa quête, ce qui pourrait sembler absurde,
mais on se rend vite compte que la quête de Bob n’est ni
matérielle, ni religieuse, mais bien une quête de dignité.
Dès le début du film, la religion traîne Bob littéralement
dans la merde (lorsque le Père Barry lui fait nettoyer sa fosse
septique) et cela continue tout au long du film. Ce que Loach critique
ce ne sont pas les religieux, mais plutôt l’Église
en général, puisque le personnage du prêtre, loin
d’être un imbécile, voit bien que ce sont les traditions
religieuses qui causent tant de problèmes à Bob. La réussite
de ce film réside dans l’humour qu’apporte Loach
et son scénariste Jim Allen à tout ce portrait social
qui, sans ces quelques blagues, aurait été d’une
douloureuse lourdeur, un peu comme Ladybird, Ladybird.
La structure classique du film permet au réalisateur d’exercer
plusieurs digressions afin d’aborder tous les sujets nécessaires
pour rendre sa critique sociale la plus complète possible. Par
exemple, Bob se trouve du travail comme videur dans un lieu où
se tiennent des raves, partys clandestins destinés à remplacer
les boîtes de nuit que Miss Thatcher avait fait fermer. Les femmes
prennent aussi une place importante dans le film, essayant aussi fort
que leurs hommes de subvenir aux besoins de leur famille. Malheureusement,
vendre de la drogue semble être le meilleur moyen d’obtenir
quelques sous pour une jeune fille en banlieue de Manchester.
La forme n’est pas sans rappeler celle du Voleur de Bicyclette;
comédiens non professionnels embauchés dans le village
où le film est tourné, décors et éclairages
naturels sont au service du réalisme et un protagoniste à
la recherche de son moyen de transport (qui est l’outil principal
de son gagne-pain) volé au début du film. Seule la finale
diffère, car Ken Loach est un optimiste, et nous laisse sur une
touche d’espoir équilibrant parfaitement le film, qui ne
manque ni de légèreté, ni de séquences dramatiques.
La caméra à l’épaule constante, qui est présente
dans presque tous ses longs-métrages, nous rapproche des gens
et nous fait vivre avec eux sans les juger, les accompagnant simplement
dans leurs épreuves. Le cinéma de Loach n’est pas
voyeur, il est dénonciateur et profondément humain, et
Raining Stones est un des meilleurs exemples de la compassion
que le cinéaste a envers ces pauvres gens. Je n’ai pas
dit pitié, j’ai dit compassion.
Le réalisateur du puissant Land and Freedom signe ici
la meilleure oeuvre de son cinéma populaire, combinant humour
et tragédie afin de nous faire vivre aux côtés de
ses personnages un difficile quotidien qu’un gouvernement ultraconservateur
rempli d’épreuves plus ardues les unes que les autres.
En plus de rendre hommage à l’un, non, au plus grand des
films réalistes, Ken Loach ajoute une oeuvre importante à
cette lignée et à sa propre filmographie. Il est à
noter que celle-ci comporte deux lignes directrices, celle du cinéma
réaliste populaire (Raining Stones, Riff Raff,
Sweet Sixteen), et celle du cinéma, encore une fois
réaliste, mais historique et politique (Land and Freedom,
Hidden Agenda, The Wind That Shakes the Barley). Se
rejoignant sur plusieurs points, ces deux genres distincts sont d’abord
et avant tout dénonciateurs des agissements de gouvernements
de droite, faisant de Ken Loach un héros de la gauche et défenseur
de la veuve et de l’orphelin.
Version française : -
Scénario :
Jim Allen
Distribution :
Bruce Jones, Julie Brown, Gemma Phoenix, Ricky
Tomlinson, Tom Hickey
Durée :
90 minutes
Origine :
Royaume-Uni
Publiée le :
25 Août 2007