RAGING BULL (1980)
Martin Scorsese
Par Frédéric Rochefort-Allie
En 1980, ce fut la naissance de deux géants. Dans le coin droit,
Martin Scorsese, un réalisateur New Yorkais qui émergeait
déjà de la pénombre depuis Taxi Driver
et qui s'annonçait comme l’un des maîtres du cinéma
américain. Dans le coin gauche, Robert De Niro, un acteur provenant
de la même ville qui fit rapidement sa place dans le milieu en
obtenant un Oscar au début de sa carrière. Nos deux boxers
s'affrontent sur un ring sanglant, certes, mais tout simplement fascinant.
Un combat qui renverra tout autre film de boxe au tapis, rien de moins.
Jake La Motta n'est pas fictif. Ce boxeur issu des fins fonds du Bronx,
devint rapidement une star, voire l'étendard d'un quartier voué
à la misère. C'était aussi autrefois un homme plutôt
brutal avec ses proches, qui n'hésitait pas à piquer une
crise pour quelque chose d'aussi insignifiant qu'un steak. Un homme
qui dépendait de deux personnes : Vicky (Caty Moriarty) et son
frère Joey (Joe Pesci).
Si on nomme la boxe le noble art, sa définition ne fut jamais
aussi exacte que pour ce film. Raging Bull est un film doué
d'une poésie et d'un réalisme qu'aucune autre oeuvre du
genre ne peut accoter. La réalisation de Scorsese est semblable
à la lecture d'un poème. L'intonation que prend l'oeil
du réalisateur évolue au fil des vers (les scènes),
nous faisant passer par diverses émotions et variant par le rythme.
Les différences de vitesse entre les séquences créent
une impression de mouvement. Scorsese n'hésite pas à littéralement
transporter le spectateur sur le ring à l'aide de gros plans,
de travellings et d'images figées. On ne fait pas que suivre
La Motta, on le devient. Même dans les moments les plus tendres,
le réalisateur fait tout pour exprimer les émotions et
non les démontrer. La différence est énorme, en
particulier pour un art de monstration. Ce qui est intéressant,
c'est qu'à certains moments, Raging Bull fait penser
aux documentaires de Michel Brault. Comme quoi on a souvent tort de
sous-estimer l'influence de notre propre cinéma.
Pour ce qui est de De Niro, rarement a-t-on vu un acteur rentrer à
tel point dans la peau d'un personnage. Prendre 25 kilos simplement
pour un film, c'est admirable. De Niro se transforme en une montagne
de muscles, une sorte de bombe à retardement qui explose de rage.
Après avoir incarné le maigrichon dans Taxi Driver,
il est tout de même étonnant de voir sous nos yeux l'antithèse
exacte de ce personnage. Même son visage semble différent.
Étrangement, les scènes où Martin Scorsese permet
aux acteurs d'improviser sont celles qui nous rapprochent le plus des
personnages. Le tandem Pesci et De Niro prouve une fois de plus dans
ce film qu'il est tout simplement magique. Leur grande complicité
et leur talent font qu'on surpasse les différences physiques
entre les deux acteurs, pour croire qu'ils sont réellement frères.
Avec Caty Moriarty c'est identique : il y a une chimie entre elle et
De Niro qui donne lieu à des scènes particulièrement
intenses. C'est pour cette raison que la scène de la rencontre
entre Jake La Motta et Vicky reste imprégnée dans notre
tête. Le trio se surpasse.
Finalement, Raging Bull est un uppercut en pleine gueule à
tous les Rocky, Ali ou Hurricane de ce monde.
C'est le coup fatal qui met KO. Ici, Scorsese signe non seulement un
des plus beaux films de sa carrière, mais aussi l'un des rares
films biographiques sur un sportif qui fait réellement un portrait
de l'homme et non pas seulement de sa carrière. Une oeuvre qui
devrait à tout le moins vous transporter. Oubliez le moule classique
« à la Rocky », ici c'est du Scorsese...
et du grand! Comme le dit si bien Michael Buffer : « Let's get
ready to rumble! ».
Version française :
Comme un taureau sauvage
Scénario :
Paul Schrader, Mardik Martin
Distribution :
Robert De Niro, Cathy Moriarty, Joe Pesci, Frank
Vincent
Durée :
129 minutes
Origine :
États-Unis
Publiée le :
17 Janvier 2004