LA RAGE DE L'ANGE (2006)
Dan Bigras
Par Jean-François Vandeuren
Le dévouement de Dan Bigras à la cause des jeunes de la
rue n’est plus à prouver. Voir l’auteur-compositeur-interprète
faire de ce milieu des plus ardus le thème central de son premier
long-métrage de fiction n’a donc rien de vraiment surprenant.
Avec La Rage de l’ange, Bigras cherche à exposer
au grand jour une réalité qui n’en finit plus d’accumuler
les idées préconçues et les préjugés.
Si le désir de l’artiste de sensibiliser le grand public
à cette cause dont nous ne parlons pas assez souvent demeure
tout ce qu’il y a de plus noble, son film prend malheureusement
les allures d’un pamphlet au discours beaucoup trop insistant
et artificiel par moments. Nous suivons ainsi le parcours de trois jeunes
qui fuirent le domicile familial pour diverses raisons (violence, inceste,
recherches dans le but de retrouver une mère biologique) et qui
tombèrent malgré eux dans l’enfer des gangs de rues,
de la drogue et de la prostitution.
Bien que nous ne pouvons remettre en question les intentions de Dan
Bigras, l’approche artistique de ce dernier dans ce cas-ci ne
leur rend souvent aucunement justice et met difficilement en relief
le milieu qu’il tente de recréer. Le parcours de ses protagonistes
ne fut évidemment pas de tout repos. Déjà condamnés
à vivre avec d’importantes blessures psychologiques, ceux-ci
doivent désormais apprendre à survivre dans un monde où
règnent la violence, le désespoir et la mort. Pourtant,
le cinéaste illustre cet univers profondément meurtri
d’une manière anormalement léchée. Ainsi,
plutôt que de signer une mise en scène nerveuse et volontairement
salie afin de rendre palpable le chaos émanant du quotidien de
ses différents sujets, Bigras propose une réalisation
distante rappelant davantage le modèle télévisuel
peu expressif de bon nombre d’émissions jeunesse. Bigras
commet également un impair en intégrant à son récit
quelques pièces musicales de son cru. Une initiative qui empêche
définitivement son scénario de prendre place à
l’intérieur d’un contexte réaliste, lequel
se détériore au point de tomber dans la dramatisation
et la campagne de sensibilisation édifiée sans nuance
et d’une manière beaucoup trop contemplative.
Bigras éprouve également certaines difficultés
à gérer le contenu d’un récit mis en scène
de façon particulièrement elliptique. Entre les séquences
présentées à l’écran et les épisodes
simplement suggérés, le cinéaste n’arrive
pas toujours à solidifier son scénario d’une logique
narrative cohérente et finit par ne laisser planer qu’une
vague idée de ce dont se composent les scènes manquantes.
Le spectateur doit alors se réajuster constamment face à
un film qui progresse beaucoup plus à l’abris des regards
que devant la caméra. Cette situation a également des
répercussions sur la performance des principaux interprètes
qui n’arrivent pas à faire évoluer leur personnage
respectif de façon convaincante et semblent jouer chaque scène
comme s’il s’agissait de la première et de la dernière.
Il faut dire que ces derniers doivent également composer avec
des sujets développés de manière unidimensionnelle
et auxquels nous croyons difficilement vue l’approche trop théâtrale
et parfois même caricaturale qu’impose le réalisateur,
laquelle détonne évidemment complètement de l’essence
même de sa prémisse.
Dan Bigras avait une chance inouïe d’offrir un regard neuf
sur la réalité sociale pour laquelle il milite depuis
tant d’années. Malheureusement, La Rage de l’ange
ne se veut au final qu’un compte-rendu peu imaginatif de tout
ce que la problématique a déjà inspiré en
terme de contenu cinématographique par le passé. Il n’y
a donc rien dans le présent effort que vous n’ayez pas
déjà vu ailleurs ou qui n'ait été exécuté
de façon beaucoup plus efficace. En somme, La Rage de l’ange
est une erreur de débutant. De ce fait, nul doute qu’il
serait intéressant de voir un Dan Bigras plus expérimenté,
prêt à se salir les mains davantage et qui ne chercherait
pas constamment à obtenir la sympathie du public retenter l’expérience
dans quelques années. Pour le moment, ce dernier nous laisse
avec un film plutôt fade qui fait du surplace alors que bon nombre
de situations propres à ce dossier demeurent toujours inexplorées.
Version française : -
Scénario :
Dan Bigras
Distribution :
Alexandre Castonguay, Isabelle Guérard,
Patrick Martin, Dan Bigras
Durée :
107 minutes
Origine :
Québec
Publiée le :
7 Décembre 2006