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QUE DIEU BÉNISSE L'AMÉRIQUE (2006)
Robert Morin

Par Alexandre Fontaine Rousseau

La première scène de Blue Velvet mérite sans l'ombre d'un doute de se retrouver dans une anthologie des grands moments du cinéma de banlieue. David Lynch y instaure un climat de normalité caricaturale en quelques plans pour ensuite nous plonger dans l'incertitude en déréglant sans crier gare des éléments anodins d'un décor trop parfait. Cette scène absolument inoubliable révèle un mécanisme de base de la tension qui fait défaut à l'ensemble du plus récent film de Robert Morin, Que Dieu bénisse l'Amérique. La tension naît dans la progression. Or, Que Dieu bénisse l'Amérique entretient le même ton du début à la fin et devient par e fait même légèrement lassant. Entendons-nous sur une chose : Morin demeure l'une des réelles figures marquantes du cinéma québécois des vingt dernières années et Yes Sir! Madame... est l'un des essais les plus fouillés de la nouvelle vague du cinéma-direct d'ici. Nécessairement, son plus récent film est d'un certain intérêt. Mais compte tenu de ce à quoi nous avait habitué son auteur, Que Dieu bénisse l'Amérique laisse à désirer...

À Laval, la paranoïa s'est confortablement installée au sein d'une communauté de banlieusards aussi aisés que blasés. Suite à une série de meurtres sordides commis par un mystérieux individu surnommé l'Alimenteur, tous se suspectent mutuellement d'avoir mis en oeuvre ce nettoyage systématique des prédateurs sexuels récidivistes du quartier. Toute l'action de Que Dieu bénisse l'Amérique se déroule sous le ciel bleu d'un certain 11 septembre 2001. Au cour de cette journée fatidique de leurs vies respectives, quelques voisins s'uniront pour protéger l'un des leurs sur lequel plane la menace de l'Alimentateur. Mais il devront avant tout apprendre à se connaître, chose qu'ils n'ont jamais osé faire durant quinze longues années de leurs vies.

D'emblée, nos banlieues monotones étaient condamnées à recevoir un jour ou l'autre la visite inopportune du plus cynique et décapant des réalisateurs d'ici. Il est toutefois regrettable de découvrir avec Que Dieu bénisse l'Amérique, l'oeuvre d'un Robert Morin aux dents limées et aux excès tempérés. Le propos même du plus récent film de l'auteur de Quiconque meurt, meurt à douleur est certes très intéressant. Après s'être longuement intéressé aux marginaux en tous genres, voici qu'il se penche sur une toute autre race de gens qui a volontairement décidé de s'établir en marge des grandes villes pour vivre une isolation collective. Les personnages de Que Dieu bénisse l'Amérique ont plusieurs névroses en commun avec les créatures frustrées du Happiness de Todd Solondz. Dans les deux cas, nous sommes plongés dans un univers hypocrite où les gens n'arrivent plus à communiquer entre eux.

Orchestrant une cruelle ironie du sort, Morin plonge ses victimes dans l'horreur pour leur réapprendre à agir en tant que communauté. À ce niveau, le parallèle qu'il établit avec les États-Unis d'après le 11 septembre est riche de sens. Comme l'avaient fait Bush et les néo-conservateurs, Morin unit son petit peuple autour d'une tragédie collective qui remet en question les notions de confort et de sécurité. Son film crée une sensation de paranoïa similaire à celle qu'exploitait Spike Lee dans son sous-estimé Summer of Sam. Même le spectateur embarque dans ce petit jeu de suspecter tous et chacun de cacher quelque chose, d'être ce mystérieux Alimenteur. Bientôt, les accusations fusent de part et d'autre.

Si le discours de Morin est intéressant, pourquoi alors Que Dieu bénisse l'Amérique est-il un demi-échec? Bien entendu, tout bon film repose sur le traitement de son intrigue. Or, Morin substitue à la maîtrise appliquée du Nèg' une monotonie légèrement informe qui tue la tension. Sa banlieue est d'une splendide laideur aseptisée. Il faut dire qu'avec un monument grotesque comme le Colossus de Laval dans les parages, la laideur n'est jamais bien loin. Mais en roulant au même rythme durant presque deux heures, le film de Morin finit par nous engourdir. Nous sortons de la salle de projection intellectuellement repus, mais cette intrigue légèrement amorphe n'aura eu qu'une emprise limitée sur nos nerfs.

En ce sens, si Morin aspire sérieusement à séduire un plus large public, ce qu'il tente de toute évidence de faire avec Que Dieu bénisse l'Amérique, il lui faudra soigner un peu plus sa construction dramatique. On peut difficilement déconseiller son nouveau film, parce qu'il a le mérite d'avoir une idée précise et valable à transmettre, mais on arrive difficilement à s'y attacher vraiment. Morin n'arrive jamais à nous plonger réellement dans cet univers à la fois sordide et banal, peut-être parce qu'il semble lui-même garder ses distances par rapport à son sujet. Le travail cérébral est évident, mais l'impact viscéral manque malheureusement à l'appel. L'humour décalé est là. La distribution joue dans le ton caricatural approprié. On ne verra plus jamais les chicken balls de buffet chinois du même oeil. Mais la sauce ne prend jamais. Notre meilleur provocateur vient de faire un faux pas, mineur mais bien réel.




Version française : -
Scénario : Robert Morin
Distribution : Gildor Roy, Sylvain Marcel, Sylvie Léonard, Marika Lhoumeau
Durée : 110 minutes
Origine : Québec

Publiée le : 10 Mars 2006