PUSHER 3 : I AM THE ANGEL OF DEATH (2005)
Nicolas Winding Refn
Par Alexandre Fontaine Rousseau
La journée s'annonce éprouvante pour le pauvre Milo. Non
seulement doit-il préparer un banquet pour quarante-cinq personnes
afin de commémorer le vingt-cinquième anniversaire de
sa fille, mais il vient de recevoir une énorme cargaison d'ecstasy
qu'il n'avait jamais commandée et dont il ne sait que faire.
N'étant pas familier avec ce nouveau marché, le vieux
vétéran doit faire confiance à un petit caïd
arrogant afin d'écouler le stock rapidement. Entre la cuisine
et les affaires, Milo doit se rendre à une réunion des
Narcotiques Anonymes. Car, effectivement, notre homme en est à
sa cinquième journée de sevrage après des années
d'excès.
D'une manière fort pertinente, la série des Pusher
de Nicolas Winding Refn tend à brouiller la frontière
entre la télévision et le cinéma. Ainsi, chaque
nouvel épisode de cette petite saga sur le milieu de la drogue
à Copenhague est une occasion pour le réalisateur danois
de renouer avec des personnages et des lieux qu'il a déjà
visités auparavant. Ses films s'entrecroisent sans s'emboîter
les uns dans les autres à la manière de suites directes.
Au-delà de cette notion de diégèse connexe, Winding
Refn mise avec les Pusher sur l'authenticité d'acteurs
non professionnels - parfois réellement associés au milieu
interlope - ainsi que sur l'efficacité dramatique d'une histoire
se déroulant en un cours laps de temps pour créer une
expérience aussi tendue que crédible. Sorti en 1996, le
premier Pusher précédait de quelques années
le raz-de-marée télé-réalité et le
succès monstre de la série 24. En 2005, cette
formule moins novatrice est-elle aussi intense?
Heureusement pour nous, Nicolas Winding Refn comprend ce qui distingue
le bon cinéma de la bonne télévision tout en puisant
à même ce médium, que certains qualifient d'inférieur,
certains des traits lui conférant son efficacité redoutable.
Figure centrale, mais personnage secondaire des premiers volets de la
série, le fascinant Milo de Zlatko Buric est ici le principal
protagoniste d'une intrigue simple et efficace au service des personnages.
I Am The Angel of Death se concentre sur des individus cruels
et matérialistes pour lesquels la mort est monnaie courante.
Ils en sont les marchands et n'hésitent pas à en précipiter
l'avènement s'ils sont contrariés par les événements.
Mais par une approche réaliste et d'une certaine manière
humaniste, Winding Refn arrive à créer un lien d'attachement
entre le spectateur et ces hommes que l'on pourrait qualifier de monstres.
Évitant le moralisme traditionnel, Pusher 3 évite
de juger ses personnages. Il présente cependant la logique inébranlable
d'un univers sauvage où chaque action comporte son lot de conséquences.
C'est la seule fatalité de l'univers de Milo et la finale, ouverte
comme c'est la tradition chez Winding Refn, n'impose aucune conclusion
irréfutable. Laissant en suspend le personnage de Milo comme
il l'avait fait neuf ans plus tôt avec le Frank du premier Pusher,
le réalisateur espère ainsi pousser le spectateur à
la réflexion.
Descendant de l'école réaliste d'un cinéma américain,
le cinéma de Nicolas Winding Refn se fait l'écho moderne
des films noirs de John Huston, emprunte son authenticité urbaine
crue au Martin Scorsese de Mean Streets et sa vision de la
véracité de l'image à La Bataille d'Alger
de Gillo Pontecorvo tout en s'inspirant de la méthode Cassavetes
quant à ce qui a trait à l'interprétation. Marqué
par le Killing of a Chinese Bookie de ce dernier, le Danois
présente en la personne de Milo un gangster véritablement
intéressant et nuancé au même titre que le Cosmo
Vitelli qu'interprétait Ben Gazzara dans le classique de 1976.
S'il n'égale pas en terme d'impact viscéral le premier
Pusher, I Am The Angel of Death est la meilleure des
suites possibles; évitant de répéter jusqu'au moindre
détail le motif de spirale infernale de ses prédécesseurs,
Pusher 3 élabore intelligemment sur l'univers présenté
dans les opus précédents. Il en découle une fresque
intéressante en trois chapitres dont la forme rappelle sans contredit
le petit écran tout en proposant, immanquablement, un bon moment
de cinéma. Voilà enfin un compromis constructif.
Version française : -
Scénario :
Nicolas Winding Refn
Distribution :
Zlatko Buric, Marinela Dekic, Ilyas Agac, Gitte
Dan
Durée :
90 minutes
Origine :
Danemark
Publiée le :
30 Juillet 2006