PUNISHMENT PARK (1971)
Peter Watkins
Par Alexandre Fontaine Rousseau
« Par crise des médias, j'entends l'irresponsabilité
croissante des mass-média audiovisuels et leur impact dévastateur
sur l'homme, la société et l'environnement, »
- Peter Watkins, dans Media Crisis
Il s'agit d'une suprême ironie du sort que cette satire mordante
du monde de l'information qu'est le War Game de Peter Watkins
ait été couronnée, aux Academy Awards de 1967,
du titre de meilleur documentaire de l'année. Interdit de diffusion
par la BBC, qui avait par ailleurs financé cette première
oeuvre professionnelle du jeune réalisateur alors associé
au mouvement amateur britannique, The War Game déguise
sous les traits du document d'intérêt public une critique
acerbe de la désinformation médiatique. Watkins y envisage
un scénario apocalyptique de l'ère atomique ainsi que
ses conséquences catastrophiques sur la Grande-Bretagne. Bien
loin du rassurant slogan « duck and cover » entonné
par le célèbre film américain du même titre,
le discours de The War Game extrapole sur les séquelles
horribles d'une attaque nucléaire. Est-ce justement parce qu'il
alimentait le climat de paranoïa de la Guerre froide que le film
fût célébré aux États-Unis? Quoiqu'il
en soit, l'uns des projets suivants de Watkins avait quelques comptes
à régler avec l'Oncle Sam.
Achevé alors que le mouvement antimilitariste est à son
paroxysme aux États-Unis, Punishment Park joue sans
aucune concession la carte de la dissidence politique totale dans une
Amérique blessée de l'intérieur. Le 3 mai 1971,
500 000 manifestants se réunissent à Washington pour protester
contre la présence de troupes américaines au Viêt-nam.
On dénote 7000 arrestations, un bilan soulignant sans contredit
la gravité de la situations: les États-Unis de la fin
des années 60 et du début des années 70 sont à
feu et à sang. Aux mouvements noirs révolutionnaires se
sont greffés des groupuscules étudiants radicaux s'insurgeant,
parfois de façon violente, contre les tendances impérialistes
et l'hypocrisie de leur gouvernement. Une génération entière
sent qu'elle n'est plus représentée par ses institutions
et tente de réclamer le pouvoir. La réplique sera sévère.
Misant sur le langage du documentaire pour décupler sa force
d'impact, Punishment Park est sans contredit l'uns des brûlots
politiques les plus cruels qu'a engendré le septième art.
Confiné à la marge depuis sa sortie, le film de Watkins
orchestre tant par le langage du symbole que par l'indice du réel
un procès en règle des autorités américaines
et de la relation des forces de l'ordre avec les médias. Le réalisateur
britannique nous plonge ainsi dans un cauchemar hypothétique
où l'Amérique, acculée au mur, décide de
punir les dissidents en les forçant à participer à
un jeu cruel dont les dés sont bien évidemment pipés.
Abandonnés dans le désert, les participants - artistes
contestataires, pacifistes, déserteurs et autres militants -
ont trois jours pour atteindre un drapeau situé à 53 miles
de leur point d'origine. Traqués par des policiers, ils sont
abattus s'ils sont rattrapés.
Alternant entre un tribunal de pacotille où sont jugés
divers éléments subversifs de la société
et le terrain où d'autres luttent pour leur survie, cette oeuvre
de docu-fiction incendiaire ne fait pas de quartier en dressant le portrait
d'une société où l'opposition au système
en place est matée de manière systématiquement
violente. Cette Amérique totalitaire et belliqueuse que dépeint
Watkins, c'est celle qui se révèle au grand jour au fur
et à mesure que l'histoire s'écrit. La critique, par conséquent,
s'élève bien au-delà du simple thème détonateur
qu'est la guerre du Viêt-nam; il demeure par ailleurs intéressant
de mentionner qu'aux côtés du documentaire d'Emile de Antonio
In The Year of the Pig, Punishment Park sera l'un
des premiers films à aborder le sujet ouvertement sur un tel
ton virulent.
En fait, Watkins détourne la lutte vers son champ de bataille
de prédilection, celui de la lecture de l'image et des relation
aux médias. Bien qu'elle soit rivée sur des événements
fictifs, la caméra renoue ici avec le rôle qu'elle aurait
dans le cadre d'un reportage réel. Elle doit se battre avec des
forces de l'ordre intimidées par sa présence inopportune.
Cependant, et c'est d'ailleurs à ce niveau que le propos de Punishment
Park se distingue grandement de celui de The War Game,
elle joue dans le cas présent un rôle crucial à
la sauvegarde de la vérité dans un régime tyrannique.
Au-delà du pessimisme dévastateur de son allégorie
politique, Punishment Park élève la caméra
au rang d'arme bénéfique dans la guerre contre l'injustice
là où elle n'était qu'un outil de mystification
et de désinformation collective dans le satirique The War
Game. Elle deviendra le témoin privilégié
de ce cirque aux atrocités.
Ainsi, cette scène aujourd'hui familière où la
main d'un officier de l'ordre vient couvrir l'objectif de la caméra
revêt une connotation particulièrement funeste. Ce geste
incarne une ultime obstruction à la liberté d'expression
que bafouent sans arrière-pensée les figures d'autorités
dans Punishment Park. Film-choc au sens le plus profond du
terme, ce véritable chef-d'oeuvre méconnu du cinéma
contestataire des années 70 provoque et dégoûte
le spectateur en lui présentant une horreur imaginée dans
la langue du réel. Au point de vue formel, le film de Watkins
est d'une précision dérangeante. Pourtant, c'est l'ardente
pertinence de son propos s'intensifiant au fur et à mesure que
passe le temps qui nous force à penser qu'il s'est fait bien
peu d'oeuvres engagées plus enrageantes dans l'histoire du cinéma.
On comprendra sans problème que la censure se soit élevée
contre ledit film à sa sortie en 1971. Mais, une fois de plus,
c'est à l'artiste que l'histoire a donné raison.
Version française : -
Scénario :
Peter Watkins
Distribution :
Patrick Boland, Kent Foreman, Carmen Argenziano,
Luke Johnson
Durée :
88 minutes
Origine :
États-Unis
Publiée le :
16 Octobre 2006