PSYCHO (1960)
Alfred Hitchcock
Par Alexandre Fontaine Rousseau
Tout le monde connaît Psycho sur le bout des doigts,
de chaque nuance névrosée de l'incroyable performance
livrée par Anthony Perkins jusqu'au moindre cri poussé
par le thème strident composé par Bernard Herrmann en
passant par chaque plan du meurtre sauvage de Janet Leigh dans la plus
célèbre des douches de l'histoire du cinéma. Tous
ceux qui ont étudié un tantinet l'histoire du septième
art ont à un moment ou à un autre de leur vie décortiqué
morceau par morceau ce qui s'avère l'une de ses séquences
les plus marquantes. Mais en 1960, à la sortie de ce classique
absolu dont personne n'oserait aujourd'hui remettre en question l'importance
cruciale, la critique ne fut pas des plus clémentes à
l'égard de ce film à relativement petit budget qu'Alfred
Hitchcock tourna quelque part, un peu vaguement, entre son contrat avec
la Paramount et Universal.
Reconnu à juste titre comme étant le maître du suspense,
vénéré par les artisans de la Nouvelle vague comme
l'un des premiers véritables auteurs de sa forme d'art mais surtout
adoré par le grand public dont il avait capturé tant l'attention
que l'affection, Hitchcock s'apprêtait à devenir avec Psycho
le père du cinéma d'horreur moderne et en particulier
de la sous-famille du slasher. Ne serait-ce que par le nombre imposant
de suites malodorantes qui naquirent dans son sillage. Que cette oeuvre
fondatrice d'un genre si généralement détesté
par les cinéphiles sérieux en tous genres ait difficilement
été digérée par l'établissement cinématographique
en 1960 n'est somme toute pas particulièrement surprenant. De
toute façon, Psycho a un petit cachet sulfureux de par
son contenu sexuel probant et sa violence graphique qui avaient tout
deux fait sursauter les censeurs pointilleux de l'époque.
Cependant, la dissipation de cet effet de choc que dût provoquer
Psycho à sa sortie nous laisse devant un oeuvre typiquement
Hitchcockienne s'affirmant aisément comme l'une des oeuvres les
plus marquantes et abouties dans toute la filmographie du maître-chanteur.
Car Hitchcock était d'abord et avant tout un grandiose manipulateur,
capable de jouer avec son auditoire pour satisfaire une malice pernicieuse
à souhait. Mais de tous les coups de théâtre qu'il
ait orchestré, que ce soit le virage à 180 degrés
de Vertigo ou l'enchaînement de quiproquos autour duquel
s'articule North By Northwest, celui de Psycho demeure
l'un des plus ingénieux puisqu'il dépasse le monde fictif
s'animant à l'écran pour aller jouer avec les conventions
hollywoodiennes auxquelles le public s'était bien évidemment
habitué.
En tuant Marion Crane dans le premier tiers de son film, Hitchcock n'assassinait
pas uniquement la femme que le scénario avait désigné
comme étant le personnage principal. Il commettait aussi le crime
impensable de faire disparaître de l'écran Janet Leigh,
la vedette de toute cette histoire. Le pied-de-nez est formidable et
le message clair: personne, ici, n'est à l'abri de la mort. De
plus, le découpage sadique de la victime se fait à même
les coupures d'un montage saisissant qui devient ainsi l'arme du crime
et la lame du tueur.
Ne serait-ce qu'en nous lançant avec amusement sur une multitude
de fausses pistes, Hitchcock exploite avec génie son indéniable
don de marionnettiste. Cet argent que l'on croyait un élément
principal du récit est vite repoussé au second plan alors
que le policier qui talonne Marion pendant qu'elle s'évade n'est
en fin de compte qu'un leurre. Un spectateur conscient de l'astuce tombe
dans le panneau à chaque écoute. Même lorsque Norman
Bates se débarrasse du corps de sa première victime, le
maître du suspense ne peut s'empêcher de se payer notre
tête quelques secondes.
C'est aussi au niveau de la morale que le bon vieux Hitch s'amuse à
nous déstabiliser. En poussant tout d'abord le spectateur à
sympathiser avec une voleuse avant de la tuer sous nos yeux alors que,
repentie, elle se purifiait symboliquement de son crime, puis en le
plongeant dans la psyché troublée du meurtrier de celle-ci,
le réalisateur s'aventure dans une zone grise et tire le spectateur
dans le tourbillon freudien avec lui. La folie de Norman Bates demeure
à ce jour la charpente du meurtrier en série cinématographique.
Avec Psycho, Alfred Hitchcock ouvrait la porte à une
horde de dangereux psychopathes dont les exploits sanguinaires allaient
éclabousser durant les décennies à venir le grand
écran. Mais il le faisait avec toute cette intelligence et avec
une maîtrise dont lui seul détenait le secret. Il est intéressant
de pondérer qu'à l'instar du Halloween de John
Carpenter dont il est le père spirituel, Psycho s'avère
un film aux décors simples dont le tournage fut somme toute peu
dispendieux. L'économie de moyens serait-elle la force principale
d'un genre sombrant plus souvent qu'autrement dans l'excès? Quoi
qu'il en soit, Psycho restera à jamais un pur chef-d'oeuvre
peu importe le nombre de copies douteuses et d'enfants illégitimes
qu'il a engendré.
Version française :
Psychose
Scénario :
Joseph Stefano, Robert Bloch (roman)
Distribution :
Anthony Perkins, Janet Leigh, Vera Miles, John
Gavin
Durée :
109 minutes
Origine :
États-Unis
Publiée le :
7 Janvier 2006